Geneviève Billette : Une affaire de goût
Scène

Geneviève Billette : Une affaire de goût

En deux pièces, Geneviève Billette semble avoir développé un créneau bien à elle: un théâtre qui dissèque les comportements au sein des entreprises, comme d’autres explorent les liens familiaux. Mais pour l’auteure de Crime contre l’humanité, l’industrie est plutôt un prétexte, le symbole parfait de notre époque marchande.

En deux pièces, Geneviève Billette semble avoir développé un créneau bien à elle: un théâtre qui dissèque les comportements au sein des entreprises, comme d’autres explorent les liens familiaux. Mais pour l’auteure de Crime contre l’humanité, l’industrie est plutôt un prétexte, le symbole parfait de notre époque marchande. "Je pense que dans 300 ans, l’image d’Épinal des années 2000 va être un complet trois pièces et un tailleur", rigole-t-elle.

La gagnante de la Prime à la création 2001 du Fonds Gratien-Gélinas (pour Le Pays des genoux, un texte jeune public) rêve d’écrire un théâtre qui touche le spectateur à la fois dans son intimité et dans son appartenance à une collectivité. Elle réfute pourtant la notion de théâtre engagé ("je n’ai pas de cause à défendre"), lui préférant celle de théâtre politique. "Il s’agit d’essayer de faire le lien entre une réflexion sur comment on vit en société, et la résonance de ce comportement sur l’individualité de chacun."

L’écriture ludique de Geneviève Billette carbure à l’insatisfaction. Mais là où sa première pièce montée, bien accueillie en 1999, provenait d’une "peine d’amour avec l’humanité", sa seconde, Le Goûteur, créée par le Théâtre PàP, serait sa "déclaration d’amour" à la même humanité. Un bel exemple de tough love

"J’ai l’impression d’avoir laissé vivre davantage les personnages. Mais c’est la même insatisfaction. La différence, c’est que cette fois, je prends le temps de dire: je te donne un coup de poing, mais c’est parce que je t’aime, chère humanité… Par ailleurs, le ton de la pièce est très joyeux. Il y a un grand espoir derrière. J’ai une foi profonde en l’être humain. Mais pas en l’État", précise l’auteure en riant.

Avec Le Goûteur, Billette retrouve son complice de Crime contre l’humanité, Claude Poissant, dont "les forces de metteur en scène complètent super bien les caractéristiques de [son] écriture". Créée par une belle équipe (Annick Bergeron, Violette Chauveau, Patrice Coquereau, Robert Lalonde, Hélène Mercier et Benoît McGinnis), la pièce suit un jeune prodige des papilles gustatives embauché comme stagiaire dans une entreprise dominée par une patronne frileuse, qui a enfermé dans un caveau tout ce qui l’effrayait: l’art, la mémoire, le savoir, les émotions, l’individualité. Toutes "les splendeurs de l’être humain".

Le Goûteur expose comment l’Homme accepte de devenir une pure fonction: "À notre époque, on se définit par ce qu’on fait." Vides intérieurement, les personnages s’enchaînent au travail, plutôt que d’affronter leur peur de l’inconnu, du monde. "J’ai l’impression que les critères d’efficacité économique et de standardisation sont le visage moderne de la peur de l’autre. Je pense qu’on a tous intériorisé de fortes polices, et c’est ce qui m’intéresse. Tous ces beaux discours économiques qu’on accepte unanimement…"

Pour Geneviève Billette, la quête de compréhension est le moteur de l’écriture. "J’ai besoin d’écrire pour essayer de comprendre le monde et ce qu’est un être humain. Vivre dans l’ignorance me donne des angoisses pas possibles. S’il y a une paix possible dans l’existence, elle est dans la quête de connaissances. C’est une réflexion sur ce que je vois autour de moi, mais aussi sur ce qui fait écho très fortement en moi. Même si je n’écris pas dans un registre réaliste, je suis partout dans mes pièces, dans les personnages les plus monstrueux aussi. Je pense que j’ai un peu une écriture d’excès. J’en ai besoin pour respirer. Si je n’écrivais pas, je ne sais pas quel genre d’être humain je serais… (rires)."

Du 5 au 30 mars
À l’Espace Go