

Jocelyne Montpetit : La dame brune
Après plus d’une dizaine d’années à créer des solos, duos et oeuvres de groupe, JOCELYNE MONTPETIT a entrepris, voilà cinq ans, la création de solos portant sur la disparition du corps. Avec sa cinquième pièce, La Femme des sables, la chorégraphe poursuit cette approche.
Linda Boutin
Photo : Guy Borremans
Chaque fois qu’on parle d’un nouveau spectacle de Jocelyne Montpetit, on évoque tôt ou tard l’influence de la danse japonaise sur son travail. C’est que la brune artiste aux yeux en amande a vécu cinq ans au Japon. Elle y a fréquenté les grands maîtres du butô, devenant même la première Occidentale à faire partie d’une troupe de cette "danse-état".
De ses années d’apprentissage, la chorégraphe-danseuse a essentiellement retenu la relation du corps avec la matière. Par exemple, ses maîtres Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata considéraient l’anatomie comme une matière en fusion avec les éléments de la nature. Cette fusion du corps avec la matière n’a jamais été aussi présente qu’actuellement dans le travail de Montpetit.
Après plus d’une dizaine d’années à créer des solos, duos et oeuvres de groupe, Jocelyne Montpetit a entrepris, voilà cinq ans, la création de solos portant sur la disparition du corps. Dans deux d’entre eux, elle incarnait des personnages mystérieux, aériens, tirés de la littérature (La Douce de Dostoïevski et Ophélie d’Hamlet). Sa cinquième pièce poursuit cette approche. La Femme des sables s’inspire d’une nouvelle du même nom écrite par l’un des écrivains japonais les plus prestigieux, Abé Kôbô. Jocelyne Montpetit a aussi vu la version cinématographique de ce huis clos se déroulant entre un collectionneur d’insectes et une femme qui vit terrée sous les dunes du désert Tottori. "Pour moi, c’est une femme-insecte avec laquelle l’homme va devoir composer. C’est un personnage dangereux, une espèce d’Ève de la culture japonaise." Nous voilà avertis!
Réalisé en 1964, le film de Teshigahara est aujourd’hui considéré comme un film-culte de la cinématographie érotique japonaise. "C’est un personnage comme je les aime, avec tout ce que le corps féminin peut porter comme mystère, raconte la chorégraphe-danseuse. Bien sûr, ma danse ne raconte pas cette nouvelle. Il s’agit plutôt d’une interprétation de ce que celle-ci a pu m’inspirer." Et contrairement à ses précédents personnages, la femme-insecte n’a rien d’un fantôme. Cette dernière dégage une bonne dose d’érotisme. "En interprétant ce personnage, je rends hommage au pouvoir de la femme", dit-elle.
Érotisme ou pas, on aime les spectacles de Jocelyne Montpetit pour la gestuelle minimaliste, le charisme de l’interprète et la beauté de la scénographie. On compare souvent l’ambiance de ses solos à celle d’une toile. Une comparaison qui fait plaisir à l’artiste. "C’est de l’art visuel dans le sens profond du terme."
Lorsqu’on mentionne ô combien la lumière d’Axel Morgenthaler valorise sa danse, Jocelyne Montpetit remet les pendules à l’heure. "On accorde beaucoup d’importance à la lumière et à la scénographie alors que ces éléments forment un tout", précise-t-elle. La nouvelle création de Jocelyne Montpetit comporte trois parties qui évoquent chacune une naissance. Le personnage se présente d’abord comme une larve qui se transforme par la suite en rose des sables – sans doute la partie la plus lumineuse de la pièce. Puis, dans la dernière tranche, la rose se métamorphose en femme des sables.
Comme on s’en doute, la transposition scénique de ces transformations fut un beau défi pour les concepteurs. Bien sûr, le sable y est répandu. Mais comment la lumière et la bande sonore ont-elles réussi à accentuer la sensualité et le mystère enveloppant les gestes de la danseuse? Pour la première fois de sa carrière, Jocelyne Montpetit a fait appel à un compositeur, lequel avait déjà travaillé pour Marie Chouinard (Le Cri du monde). "J’ai toujours eu peur qu’un nouveau collaborateur m’impose une vision musicale éloignée de la mienne." Heureusement, Louis Dufort a su capter les désirs de la chorégraphe. "Quand je lui décrivais l’ambiance de ma danse, il imaginait déjà des séquences sonores. C’était très rassurant."
Qu’est devenu le personnage masculin, le collectionneur d’insectes? Disparu dans la nature, enfin presque. "C’est le public qui le remplace", dit la chorégraphe. (Il se peut que Jocelyne Montpetit présente cet automne, à l’Agora de la danse, une nouvelle version de La Femme des sables avec le danseur japonais Yukio Waguri.)
Finalement, Jocelyne Montpetit a toujours été intéressée par la danse qui exprime les désirs et les besoins profonds des êtres. La danse abstraite, très peu pour elle. "C’est évident que j’essaie de trouver un sens à mon travail et, du coup, un sens à la vie."
Du 13 au 23 mars
À l’Agora de la danse