Les Trois Soeurs : Des trésors d'invention
Scène

Les Trois Soeurs : Des trésors d’invention

"Votre position face au monde, c’est ça qui fait votre parole d’artiste." Telle est la révélation faite à WAJDI MOUAWAD alors qu’il étudie en jeu à l’École nationale de  théâtre.

C’est au metteur en scène Yves Desgagnés qu’il doit cette découverte. "Quand quelqu’un vous fait comprendre ça, il vient de vous faire un des plus grands cadeaux de votre vie. En une fraction de seconde, vous vous arrachez à tout ce qu’on vous a enseigné que la vie, ou le théâtre, devait être."

Cette liberté, Wajdi Mouawad la prend par rapport à Tchékhov (1860-1904), dont il dirige Les Trois Soeurs au Trident. "Moi, Tchékhov, jamais je n’aurais cru que j’allais monter ça dans ma vie. À force de m’en parler, on a fini par me faire croire que son théâtre était une seule chose; une chose qui m’ennuyait profondément et que je me croyais incapable de travailler, à cause de son côté psychologique."

Quand on lui propose de monter cette pièce avec les finissants de l’École nationale, il accepte, surpris. "Et là, j’ai découvert un auteur. Je l’ai découvert à ma manière, et c’est ça qui me manquait; on ne m’avait jamais laissé la liberté de le lire à ma façon. Et j’ai compris que les textes de Tchékhov, ce sont des textes blancs. Vous pouvez leur faire dire ce que vous voulez, à condition d’avoir un point de vue; après, tout se met en place. Si vous n’inventez pas Tchékhov, vous ne pouvez pas le monter."

Maître des nuances et du non-dit, Tchékhov peint des personnages profondément humains. Dans Les Trois Soeurs, Olga, Macha et Irina, dans leur lointain et calme coin de pays, s’ennuient et rêvent à Moscou, ville heureuse de leur enfance, où elles souhaitent retourner bientôt. "La pièce est traversée de part en part par deux éléments importants: l’amour et le travail, et comment concilier l’un dans l’autre."

Le metteur en scène aborde la pièce en misant sur la théâtralité. Ne proposant pas une Russie d’illusion, il transpose. "Je n’ai jamais été en Russie; je me sentirais vraiment mal à l’aise de recréer une chose que je n’ai jamais vue moi-même. Ce que je connais le mieux dans la vie, et dont je peux parler, c’est le théâtre. Alors on est au théâtre, et on joue Les Trois Soeurs. Ce n’est donc pas une tentative de reproduction du réel. En faisant du théâtre quelque chose qui ne se peut pas dans la vie, tout à coup la fiction devient véritablement le piège où la réalité est prise. C’est ça que j’aimerais faire: prendre en flagrant délit d’imagination le spectateur."

L’auteur réaliste, ainsi, est pris à contre-pied? "Exactement. Et il résiste à tout; c’est ça qui est intéressant. Je ne cherche pas à dire aux autres ce qu’est Tchékhov; je le prends à ma façon. Et je le comprends comme ça parce que c’est comme ça que je comprends le monde."

Jusqu’au 30 mars

Au Trident
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