

10 ans de danse : Pas de dix
Danseurs, chorégraphes, depuis 10 ans, Voir a esquissé plus d’un pas de deux en compagnie de ces virtuoses du mouvement. Trois d’entre eux ont accepté de jeter un regard en arrière. Courte et longue portées.
Caroline Fortin
Hier à peine
Il y a deux mois à peine (volume 11, numéro 3), notre couverture arborait une Lydia Wagerer vaguement baveuse dans son personnage de Air. "J’avais envie de me faire le cadeau, comme interprète, de faire quelque chose de plus théâtral", disait la chorégraphe de Québec à propos de ce solo humoristique qui tranche sur ce qu’elle fait habituellement. Et elle s’en est donné à coeur joie pendant cette partie du spectacle. "C’était vraiment le fun avec le public, raconte-t-elle. J’ai pris vraiment le temps de regarder ce qui se passait avec les spectateurs. Je les regarde toujours beaucoup, mais là il y avait moins d’éclairages qui me blastaient dans les yeux. J’avais l’impression qu’on riait ensemble. Avec l’humour, il faut respecter le rythme du public, ses réactions."
C’est pourtant la même fille qui affirmait avant les représentations: "Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est ce qui est plutôt intérieur, sombre; ce qui se passe dans mon for intérieur, c’est pas mal sérieux. J’aime ça blaguer, comme tout le monde, rire de moi-même, mais je dirais que c’est moins naturel pour moi." Toujours d’accord? Elle se met à rire à cette évocation. "Non. Je trouve que c’est très organique, naturel, spontané, humain. Il faut juste être et être à l’écoute." Elle se donne cependant le temps de passer à travers la tournée de son spectacle avant de voir si ce genre de création la tente à nouveau.
"Je trouve que ça se développe très bien avec la Rotonde, disait par ailleurs la chorégraphe en janvier dernier. La visibilité de la danse a augmenté énormément. Il y a un bon public pour une petite ville. Les médias aussi sont plus au courant de la danse." Depuis, de nouveaux faits sont venus confirmer cette impression. "La Rotonde a gagné le prix d’excellence de la Ville de Québec la semaine où j’étais sur la couverture du Voir, mentionne-t-elle. J’étais vraiment contente. Pour nous, dans la communauté de la danse, ça faisait un peu comme une célébration de la danse contemporaine à Québec cette semaine-là."
Projections
L’établissement d’un chorégraphe indépendant en ville, ça se souligne! En décembre 2000 Harold Rhéaume présentait simultanément Écho, un solo grand public, et Les Cousins, une création danse-théâtre pour les jeunes. Nous en avions profité pour le questionner sur ses plans (volume 9, numéro 47). "J’ai des projets qui sont beaucoup reliés à Québec. J’ai le goût de partager avec une équipe, d’aider l’École de danse et le milieu ici. On a des projets avec la Rotonde, avoir un lieu, ici à nous autres, par exemple."
Un an plus tard, qu’en est-il de ce rêve d’un lieu de la création en danse? "Je te dis qu’on en parle beaucoup [avec Johanne D’Or, la directrice de la Rotonde]. On a déjà visité quelques emplacements, mais c’est encore à une étape embryonnaire. Le besoin se fait grandissant. Il faut saisir le momentum, parce que s’il n’y a pas les outils qui permettent cette constante évolution, je pense qu’il y a des gens qui vont se décourager et aller vivre leur art ailleurs. Johanne et moi, malgré nos horaires chargés, on essaie de poursuivre le dossier en parallèle pour que ce ne soit pas dans 10 ans mais peut-être dans 3 ou 4… Mais c’est monstrueux comme projet." Chose certaine, c’est dans Saint-Roch qu’ils regardent. Idéalement, l’édifice comporterait une salle de spectacle polyvalente, des studios, un lieu d’échange et des bureaux. Harold y installera sa compagnie, Le fils d’Hadrien danse. "Ce genre de concept existe déjà en Europe", fait-il remarquer.
"À l’avenir, j’aimerais présenter un spectacle grand public et un autre plus spécifiquement pour les jeunes", projetait aussi Harold Rhéaume, à la suite de cette première approche du jeune public. Le concept se concrétise déjà. "Le spectacle pour ados qui va s’appeler F.U.L.L.,c’est avec quatre jeunes interprètes de Québec: Karine Ledoyen, Rosalie Trudel, Valérie Lajoie et Esther Gaudet. C.O.R.R. sera dansé par Lydia Wagerer, Lucie Boissinot, Sophie Corriveau et Esther Gaudet. Le propos est le même – c’est la femme -, mais traité différemment à cause des interprètes. Les deux pièces vont être présentées en mars 2003 à la salle Multi."
Corps et âme
Lucie Boissinot faisait notre page couverture en mai 1995 (volume 4, numéro 10), à l’occasion du spectacle de Danse Partout qui, on le sait, devait fermer ses portes deux ans plus tard. Pour la danseuse et chorégraphe, D’Ambre constituait une première création de groupe.
"Je suis une intimiste, déclarait-elle alors. J’aime beaucoup aller chercher le monde intérieur, l’imaginaire des interprètes qui travaillent pour moi. Je me disais: "Comment je vais faire pour entrer dans leur terre glaise, dans leur magma?" Je constate que j’ai réussi." La glace était cassée… "J’ai été appelée à faire beaucoup de pièces de groupe, dit-elle aujourd’hui. J’ai fait une pièce pour 13 interprètes juste avant Noël et l’année dernière, j’en avais fait une pour 17. C’est intéressant. J’aime beaucoup ça, mais c’est sûr que je me considère encore comme une intimiste. J’aime mieux quand mes choses sont vues dans de petites salles." Installée à Montréal, elle poursuit son travail de création tout en enseignant et en étant interprète, notamment pour Jean-Pierre Perreault.
"Dans la vie de tous les jours, on a beaucoup de mal à exprimer ce qu’on ressent, expliquait Lucie Boissinot il y a sept ans. La danse me permet comme interprète d’exprimer des choses que le langage verbal ne peut dire." Dernièrement, lors du 20e anniversaire de Danse Cité, elle a pu constater à travers les témoignages de ses pairs que ce sentiment était très répandu chez les danseurs. "L’indicible revenait tout le temps dans tous les propos. C’est clair que quand on danse, il y a toute une région de nous qui s’exprime, qui ne pourrait pas s’exprimer de la même manière avec les mots. Ça tient du sublime. Corps et âme unifiés dans un même geste. C’est tellement total. On se dépasse et on se rend compte qu’on est en train de vibrer d’une autre façon que si on était juste les deux pieds sur terre en train d’écrire ou de dire." Elle s’est cependant mise à écrire de la poésie en prose récemment. "Cette non-suffisance des mots, que je ressentais, j’ai travaillé à la conquérir", constate-t-elle.