

Le Goûteur : Une question de goût
Est-ce une question de goût? J’avoue que le théâtre de Geneviève Billette m’embête un peu.
Luc Boulanger
Photo : Yanick MacDonald
Est-ce une question de goût? J’avoue que le théâtre de Geneviève Billette m’embête un peu. Non pas que cette jeune auteure soit dépourvue de talent. Bien au contraire. Depuis Crime contre l’humanité, en 1999, la dramaturge représente une voix nouvelle et signifiante dans le paysage dramatique québécois, grâce à une écriture recherchée, un style et un univers bien à elle, ainsi qu’une saine ambition.
Or voilà, malgré l’éclairage et le souffle que lui apporte le toujours rigoureux Claude Poissant (le metteur en scène a signé la création de deux textes de Billette pour le PàP), son théâtre parvient difficilement à toucher le grand public et à dépasser le cercle des initiés ou des aficionados de création en marge.
Sa dernière pièce, Le Goûteur, à l’affiche de l’Espace Go depuis une semaine, nous prouve que l’originalité d’une démarche n’est pas garante de succès si, au départ, les enjeux dramatiques ne sont pas clairs. Leméac, son éditeur qui publie la pièce, affirme que Billette "subvertit les assises du réalisme": "Son propos incisif joue d’une théâtralité de l’insolite, utilisant l’humour comme un décapant pour mettre à nu les contradictions de la psyché humaine", peut-on lire en quatrième de couverture.
En effet, à la fois très ludique et très critique, l’écriture de Billette s’apparente à l’absurde. Il y est question d’une humanité menacée par la culture d’entreprise. Ici, l’action se situe au siège social d’Odibé, un fabricant de puces électroniques qui engage Nils, un stagiaire de 15 ans doté de papilles gustatives surdéveloppées. Nils est goûteur de puces pour cette firme, mais à la demande du vieux gardien de l’entreprise, il se délectera aussi de la saveur de la chair féminine. Du coup, il découvrira le goût subversif (car contre-productif) de l’amour, et ce, avec nulle autre que la présidente de la compagnie. Celle-ci, qui a enfermé dans un caveau tout ce qui est inutile au rendement de son entreprise (oeuvres d’art, émotions, savoir, mémoire et autres splendeurs) sera, bien sûr, difficile à conquérir…
Si le propos du Goûteur est prometteur, il s’étiole en cours de route. Par exemple, la métaphore du caveau m’a semblé sous-utilisée. L’auteure aurait pu davantage s’en servir pour illustrer le choc de ces deux mondes. Les personnages de la pièce sont aussi trop typés et caricaturaux. Cela sert bien l’humour de Billette. Mais cette dérision nous empêche de reconnaître la gravité du drame des personnages, ainsi que la profondeur de leurs rêves.
Évoluant dans le splendide décor de David Gaucher (il faut souligner l’excellent travail des concepteurs: Linda Brunelle, aux costumes; André Rioux, aux éclairages; Ludovic Bonnier, à la musique), la distribution est impeccable. Patrice Coquereau prouve à nouveau qu’il est un grand acteur comique; Violette Chauveau est suave et truculente en "médecin très sexy"; Annick Bergeron est parfaite dans le rôle de la présidente d’Odibé; Hélène Mercier fait un retour remarqué sur les planches; Robert Lalonde est très bien dans le rôle plus effacé du gardien; finalement, le jeune Benoît McGinnis dégage beaucoup de fougue dans la peau de Nils.
Toutefois, ce déploiement de talent n’arrive pas à faire oublier les longueurs et les maladresses du Goûteur.
Jusqu’au 30 mars
Au Théâtre Espace Go