Un tramway nommé Désir : Un trop sage désir
Scène

Un tramway nommé Désir : Un trop sage désir

De la chaleur. Il manque à l’actuelle production du TNM d’Un tramway nommé Désir ce climat lourd, humide, étouffant et violemment érotique du Vieux Carré à La Nouvelle-Orléans.

De la chaleur. Il manque à l’actuelle production du TNM d’Un tramway nommé Désir ce climat lourd, humide, étouffant et violemment érotique du Vieux Carré. Car cette chaleur propre à La Nouvelle-Orléans est essentielle à l’oeuvre. Elle s’abat inexorablement sur tous les personnages de la pièce. Elle perturbe leur jugement. Surtout, elle trouble leurs sens. Cet été-là, il fait trop chaud pour y voir clair. Et tous les protagonistes oscillent entre désir et haine, attirance et répulsion, espoir et culpabilité.

C’est dans ce quartier de La Nouvelle-Orléans, au milieu des années 40, que Tennessee Williams a écrit et situé l’action de son drame, probablement la pièce américaine la plus célèbre à travers le monde. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Amérique patriotique et machiste triomphait (plus ça change, plus c’est pareil?), Williams opposait deux grands personnages: Blanche Du Bois, une belle du Sud, délicate, raffinée mais désargentée; et Stanley Kowalski, son beau-frère inculte et grossier.

Blanche Du Bois était le personnage préféré du prolifique auteur homosexuel. On a déjà affirmé que si Williams avait écrit sa pièce à une époque plus tolérante, Blanche aurait été un homme gai! Théorie comique et improuvable. Mais qui laisse tout de même songeur lorsqu’on entend le rustre Stanley répliquer à la précieuse Blanche: "Quelle sorte de reine que tu penses être avec ta couronne de folle?"

Chassée mystérieusement de chez elle, Blanche débarque un beau matin chez sa soeur Stella. Mais Stella (Isabel Richer, correcte) partage désormais sa vie avec Stanley, qui tient sa femme par le désir charnel. Le choc entre ces deux visions du monde sera aussi inévitable que le fossé qui sépare la folie de la réalité. Mais le génie de Tennessee Williams, c’est qu’il dépasse la confrontation au premier degré entre Stanley et Blanche, pour nous montrer la face cachée des personnages. Blanche n’est pas aussi pure qu’elle le prétend: alcoolique, menteuse et nymphomane, elle a jadis poussé vers la mort un homme qu’elle aimait parce qu’il était homosexuel. Et Stanley, comme beaucoup d’hommes violents, robustes et arrogants, s’avère en fait un être lâche, poltron et incapable de tolérer la différence et la sensibilité.

Sans être froide, la mise en scène de René Richard Cyr manque de cette charge érotique qui a rendu inoubliable le film réalisé par Elia Kazan, en 1951, avec Marlon Brando et Vivian Leigh. Même l’exiguïté de l’appartement du couple a disparu: le décor décloisonné de Réal Benoît suggère davantage un grand loft branché qu’un petit trois et demi misérable. Mais là où le manque de sensualité dérange, c’est dans la confrontation entre la sensibilité blessée de Blanche et la force primaire de son beau-frère. On ne ressent pas ce désir latent mais troublant, qui exaspère leur relation et mène jusqu’au viol de Blanche.

En Blanche Du Bois, Marie-France Marcotte livre une prestation solide et très exigeante. La comédienne laisse voir sa folie, sa fragilité, et aussi son besoin de séduire; néanmoins, lors de la première, son jeu manquait de progression. Si François Papineau nous convainc de la brutalité de Stanley, il est moins crédible en bête sexuelle. Certes, ce comédien est attirant (le gym aidant? il est, disons, physiquement plus à la hauteur que dans Motel Hélène). Toutefois, il manque de charisme. Une présence, ça ne s’obtient pas, ça se possède, dit-on. Curieusement, Mitch (le vieux garçon joué admirablement par Pierre Lebeau) est plus touchant quand il courtise Blanche que lorsque Stanley séduit Stella!

Contrairement au titre de la pièce, le désir de Blanche Du Bois est innommable: c’est celui de la victime pour son bourreau. Car Blanche est une victime exemplaire sacrifiée sur l’autel du puritanisme américain. Une société qui a longtemps jugé moralement indignes les êtres sensibles qui vivaient en marge. En cela, le texte de Williams – malgré ses longueurs, ses répétitions et ses personnages secondaires totalement inutiles – demeure d’actualité. Si son metteur en scène brasse un peu la cage…

Jusqu’au 4 avril
Au Théâtre du Nouveau Monde