

Yves Dagenais : Les dieux sont tombés sur la tête
Guère jouée de nos jours, Amphitryon connut pourtant beaucoup de succès à l’époque de Molière. YVES DAGENAIS, alias Omer Veilleux, pense que son expertise de clown enrichira sa mise en scène de cette comédie où les dieux s’amusent à mystifier les mortels.
Marie Labrecque
De Molière, on a tendance à croire qu’on connaît presque toutes les facettes de son oeuvre. L’auteur comique inquiet du Misanthrope, le satiriste social des Femmes savantes, le philosophe sombre de Dom Juan, même le farceur du Médecin volant. Mais Amphitryon?
Guère jouée de nos jours, cette pièce créée en 1668 connut pourtant beaucoup de succès à l’époque. Molière, qui relevait d’une période difficile (une année d’inactivité, marquée par la maladie et la révision du procès intenté à Tartuffe), voyait peut-être dans ce sujet aux références lointaines provenant de l’Antiquité, emprunté à l’écrivain latin Plaute, un matériel plus inoffensif…
On peut découvrir dès cette semaine, au Théâtre Denise-Pelletier, cette comédie où les dieux s’amusent à mystifier les pauvres mortels: Jupiter y prend l’apparence du général grec Amphitryon, afin de partager le lit de sa femme (Noémie Godin-Vigneau). Une sorte de "Ciel, mon mari!" à la sauce mythologique, quoi…
"La pièce était une commande de Louis XIV, explique le metteur en scène, Yves Dagenais. Elle n’a pas vraiment de message philosophique ou politique, comme d’autres comédies de caractères de Molière. C’est vraiment une oeuvre de divertissement. Si on fait un parallèle avec aujourd’hui, c’est comme si Bernard Landry me demandait de monter un spectacle pour sa fête, avec beaucoup de moyens…"
À travers le personnage de Jupiter, amalgamé au souverain, le dramaturge déifiait le puissant Roi-Soleil, cautionnant ses aventures extraconjugales, et conseillant en substance au mari cocu de se taire et de profiter de cette gloire…
Yves Dagenais ne blâme pas Molière pour ses accointances avec le pouvoir. "Il faut se rapporter à l’époque. Et le roi, c’est l’État maintenant. On est tous subventionnés ici, donc personne n’est pur à ce niveau-là…" Mais celui qui a naïvement abandonné ses études de théâtre, en 1975, dans le but d’avoué d’"aller changer le monde" ne voulait surtout pas mettre ces figures divines sur un piédestal.
"Je trouve qu’on tue beaucoup au nom des dieux en ce moment, alors je ne voulais pas passer à côté d’une occasion d’en rire. On rit de tout le monde dans la pièce, mais surtout d’eux. Ç’a été notre plaisir de trouver à tous les personnages des éléments qui pouvaient les rendre comiques, humains, imparfaits."
Le metteur en scène s’est ainsi amusé à faire de "l’anticasting". Alors que la tradition veut généralement qu’on emploie deux acteurs au physique apparenté pour incarner Amphitryon et Jupiter, il a jumelé le jeune costaud Luc Chapdelaine à… Richard Fréchette, dont la stature est plutôt aux antipodes. Autre duo dépareillé avec le dieu Mercure (Alain Fournier) et le valet du général, Sosie (Silvio Orvieto), dupé au point de croire qu’il n’est plus lui-même. Pour Yves Dagenais, c’est une façon d’introduire en filigrane un petit commentaire sur la manipulation et la crédulité des gens. "Souvent, on nous présente les choses à la télé comme une vérité, et nous on le gobe. On n’a pas de sens critique."
Conçu pour plaire au jeune public du Théâtre Denise-Pelletier, suffisamment imagé pour qu’il comprenne le texte en vers, grouillant de vie en arrière-plan, le spectacle se veut assez proche de la bande dessinée. Avec des personnages surdimensionnés, mais pas clownesques.
Dagenais, alias Omer Veilleux et prof à l’École nationale de cirque, pense pourtant que son expertise de clown enrichit ses mises en scène d’une mécanique comique. "Les acteurs ne sont pas toujours habitués à ça. Alors, ils se sentent un peu comme dans un cadre très rigide. Mais quand le mouvement devient fluide, le gag est efficace à chaque fois. C’est un tremplin pour renforcer le ressort comique."
Et le rire, Yves Dagenais sait qu’il peut servir à tout, autant à lancer un gros party, comme dans Amphitryon, qu’à dénoncer des choses, comme avec son personnage de clown qu’il balade depuis 18 ans. "Cavannagh – ex-journaliste au Charlie Hebdo – disait: "Le rire, c’est un coup de poing sur la gueule.""
L’auteur de Tartuffe, qui vivait à une époque humoristiquement beaucoup plus minée que la nôtre, aurait sans doute été d’accord…
Du 15 mars au 6 avril
Au Théâtre Denise-Pelletier