Amphitryon : Passé grotesque
Scène

Amphitryon : Passé grotesque

Difficile de croire qu’aujourd’hui, dans un théâtre institutionnel, on consacre des ressources à la présentation d’une pochade mythologique racoleuse…

Difficile de croire qu’en 2002, l’on puisse s’acharner à assassiner le présent et le futur à coups redoublés de passé, comme le dénonçaient les automatistes il y a plus de 50 ans. À produire du théâtre mort-né, confortable et convenu, en se faisant croire que c’est actuel parce que les comédiens portent du cuir et des studs. À "maganer" Amphitryon, un Molière mineur, comme on le fait présentement au Théâtre Denise-Pelletier, en se disant que cela vaut mieux que d’essayer un auteur contemporain.

Difficile de croire qu’aujourd’hui, dans un théâtre institutionnel, on consacre des ressources à la présentation d’une pochade mythologique racoleuse (inspirée d’une oeuvre de Plaute, mais assaisonnée de chansons rap, comme dans les années 80!), où les dieux s’amusent à mystifier un mortel en empruntant son identité, pour le plaisir de s’envoyer en l’air avec sa femme. Le canevas est mince, et ce n’est pas parce qu’on joue avec des concombres sur les yeux et qu’on se traite de "twit" qu’on améliore les choses.

Si l’on arrêtait d’insulter le jeune public en tenant pour acquis qu’il ne peut ingurgiter autre chose que de la bouillie sucrée à la American Pie? Et de le gaver de classiques revampés, parce que c’est bon pour sa santé?

Et si l’on arrêtait de tenter de jazzer des textes du temps de Louis XIV avec des gadgets et des "yo!" au lieu de prêter l’oreille à de nouvelles voix, qui s’étoufferont à force de silence?

L’Amphitryon présenté au Théâtre Denise-Pelletier recèle quelques bons flashs, que le metteur en scène Yves Dagenais (le clown Omer Veilleux) aurait gagné à développer, dont l’utilisation d’un rideau de bandes de tissu noir, duquel sortent des mains et des accessoires (un peu à la manière d’Éric Jean). Parmi la distribution, Luc Chapdelaine et Noémie Godin-Vigneau se révèlent doués d’un bon sens de la comédie. Les autres (Ginette Chevalier, Alain Fournier, Richard Fréchette, Rénald Laurin, Marcel Levasseur, Silvio Orvieto et Claude Tremblay) se débrouillent comme ils peuvent dans le style BD imposé, et dans quelques numéros d’inspiration clownesque. Les décors sont ingénieux et les costumes, inventifs. Mais les rires se font rares et "toute cette aventure confond les sens", comme le dit un personnage. En regardant Richard Fréchette rapper dans un manteau de poil blanc, on constate que le ridicule ne tue pas…

Souhaitons-nous davantage de magie et d’audace au Théâtre Denise-Pelletier la saison prochaine. Moins de passé grotesque, et plus de présent sublime.

Jusqu’au 6 avril
Théâtre Denise-Pelletier