Jean et Béatrice : L'amour en fuite
Scène

Jean et Béatrice : L’amour en fuite

Avec leur prémisse originale, leur légèreté fantaisiste sur fond de gravité, les pièces de Carole Fréchette prennent souvent la forme de contes modernes pour adultes.

Jean et Béatrice

Avec leur prémisse originale, leur légèreté fantaisiste sur fond de gravité, les pièces de Carole Fréchette prennent souvent la forme de contes modernes pour adultes. L’auteure des 7 jours de Simon Labrosse fouille ses sujets en les déshabillant de leur enveloppe réaliste et leur donne un éclairage rafraîchissant. Ici, elle réinvente – dans la forme, sinon dans le fond – le thème le plus usé qui soit: la solitude, la difficile rencontre à deux, et la peur de l’engagement amoureux qui mine notre époque.

Jolie fable ludique et douce-amère, Jean et Béatrice est ainsi parsemée de références aux contes: Schéhérazade, bien sûr, par les épreuves que la "jeune héritière" impose à son prétendant, lequel doit tour à tour "l’intéresser, l’émouvoir et la séduire" par la parole; les paniers de pommes de Blanche-Neige; les crises de narcolepsie qui font de Béatrice une Belle au bois dormant intermittente…

Mais la nouvelle pièce de Carole Fréchette est un conte contemporain, édifié sur un constat loin d’être parfumé à l’eau de rose. Ici parée telle une princesse indienne, la belle (Marie-France Lambert) est une mythomane qui n’a jamais aimé et qui s’invente un passé intéressant. Et le prince charmant (Normand D’Amour) qui se présente à sa porte, un mercenaire qui ne s’intéresse qu’à l’argent – et plus précisément aux billets de 20 dollars! Leur rencontre ressemble davantage à une négociation qu’à un échange amoureux…

Entre la soif d’amour d’une femme qui exige l’impossible et qui s’est drapée dans des couches de mensonges, et la terreur d’un homme qui ne pense qu’à passer à la caisse et à sacrer son camp, l’auteure des Quatre Morts de Marie continue à aborder l’un des grands thèmes de son oeuvre: la solitude, ici multipliée par deux.

La rencontre est impossible, puisque chacun arrive armé de ses attentes irréalistes, de ses objectifs personnels, de ses propres règles dans lesquelles il voudrait mouler l’autre, blindé par son égocentrisme, son incapacité à écouter vraiment. Et sa peur. Comme tant d’autres, Jean et Béatrice ont perdu la définition de l’amour. Elle le cherche en appliquant des recettes reconnues (quand on aime, on se dispute, on se gratte mutuellement le dos…), comme si les gestes pouvaient précéder et engendrer les sentiments.

Soutenue par la musique de Serge Arcuri et Luc Aubry, la mise en scène du Mexicain Mauricio García Lozano accentue l’aspect féerique de ce texte qui débute par une série de jeu de rôles, et se termine par une sorte de parodie désespérée de ce qu’est un couple.

Les deux comédiens se révèlent solides, même si a priori ils ne sont peut-être pas les plus souples pour se prêter à cette forme fantaisiste. Normand D’Amour oscille entre la froide détermination du chasseur de primes et le charme du chanteur de pommes, dont il peut se départir en un clin d’oeil. Et surtout, le jeu protéiforme de Marie-France Lambert épouse plusieurs registres, de la princesse capricieuse à la désespérée.

Les protagonistes de Carole Fréchette sont souvent des rêveurs qui racontent des histoires pour mieux exister, tenaillés par le désir de capter l’attention d’un public. Ce texte où les personnages sont en représentation, esquivent la vérité, ont peur de se dévoiler, mais demandent qu’on les écoute, est peut-être aussi une pièce sur la façon dont les mots, même mensongers, ont le pouvoir de captiver.

Intéresser, séduire: ceux de Carole Fréchette auront au moins réussi deux des épreuves imposées.

Jusqu’au 6 avril
Au Théâtre d’Aujourd’hui