Le Grand Retour de Boris S. : Avec le temps
Scène

Le Grand Retour de Boris S. : Avec le temps

Sa carrière s’étend sur près d’un demi-siècle. Pas étonnant que le grand Gérard Poirier ne compte plus les personnages qu’il a incarnés.

Sa carrière s’étend sur près d’un demi-siècle. Pas étonnant que le grand Gérard Poirier ne compte plus les personnages qu’il a incarnés. Toutefois, pour le jeune premier attitré du Théâtre du Rideau Vert pendant 15 ans, les grands rôles sont venus sur le tard.

Il a joué pour la première fois au Théâtre du Nouveau Monde en 1970! Depuis, à l’instar de Jean-Louis Millette – les grands acteurs québécois appartiennent à la même famille de coeur -, monsieur Poirier travaille inlassablement, et sans faire de discrimination, sur des films populaires et des pièces d’avant-garde, passant du comique au tragique, des Plouffe à Shakespeare, du répertoire à la création, du classique au théâtre à risque… Qu’importe le genre, le comédien ne se soucie que d’une impérissable chose: être à la hauteur du rôle qu’on lui offre.

Sauf erreur, Gérard Poirier n’a pas joué le roi Lear. Mais je me souviens de son Iago, dans la production du TNM d’Othello, au milieu des années 80. Alors voir Gérard Poirier incarner un comédien qui accepte de remonter sur scène pour jouer Lear, c’est très signifiant, comme diraient les sémiologues.

Dans Le Grand Retour de Boris S., une émouvante pièce du Français Serge Kribus, créée en première canadienne la semaine dernière au Rideau Vert, Gérard Poirier est Boris Spielman, acteur vieux, malade et déchu qui se frottera enfin à Lear. Mais il est avant tout un père de famille qui débarque à l’improviste chez son fils, Henri, afin de s’installer "quelques jours, pas plus de deux mois" avec sa valise et son texte.

Bien sûr, le fils a d’autres préoccupations que d’accueillir le paternel (sa femme vient de le quitter avec les enfants, il a perdu son emploi…). Mais on ne jette pas un père à la rue, même si ce dernier s’avère ne pas avoir été un père exemplaire. D’ailleurs, qui peut prétendre l’être vraiment? Surtout pas Henri (surprenant Bernard Fortin qui fait, non un grand, mais un retour remarqué sur les planches), trop épuisé à ramasser les pots cassés de son existence de mari macho.

Un duel d’acteurs, c’est la plus belle chose que l’on puisse voir au théâtre. La mise en scène de Denis Bernard laisse donc toute la place au jeu. Et les comédiens s’y abandonnent avec brio. Poirier et Fortin font évoluer la confrontation entre ce père et ce fils; d’abord vindicatifs et colériques, leurs rapports deviendront plus tendres et chaleureux, sans toutefois tomber dans le sentimentalisme. Car ces deux êtres sont des bêtes sauvages, blessées, incapables d’aimer, ni autrui ni soi-même. Boris et Henri ressortiront de leur rencontre aussi carencés qu’au départ, mais tellement plus humains.

Le Grand Retour de Boris S. expose avec sensibilité et urgence ce grand malentendu familial. La filiation, l’amour, le passé, l’avenir, la mémoire, l’oubli, le mensonge et la vérité… Cette pièce traite de tous ces thèmes en filigrane de la relation problématique entre un père et un fils. Ajoutez à cela la culpabilité juive, parce que Kribus parle aussi de ses origines juives, et la cour est presque trop pleine.

Or, je ne peux pas reprocher à l’auteur cette maladresse, tant sa pièce est un cri du coeur implorant les hommes et les femmes de s’accepter… avec leurs maladresses. Et pour cela, Le Grand Retour de Boris S. demeurera longtemps dans ma mémoire. à la fois de perdre sa femme et son emploi.

Jusqu’au 6 avril
Au Rideau Vert