Les comédies musicales : Une affaire de choeur
Scène

Les comédies musicales : Une affaire de choeur

Longtemps boudée par le public, la comédie musicale a gagné le coeur des Québécois. À Montréal, une demi-douzaine de spectacles prendront l’affiche d’ici l’automne.

Avec la première des Dix Commandements au Saint-Denis ce soir, un ouragan de théâtre musical va déferler. En juin, Roméo et Juliette prendra également l’affiche du Saint-Denis, et L’Homme de la Mancha sera créé à Joliette (en reprise au Festival Montréal en Lumière en 2003). En juillet, pendant que Roméo et Juliette entreprendra une tournée québécoise, Denise Filiatrault signera, pour le Théâtre Juste pour rire, la mise en scène d’Irma la douce au TNM. En septembre, Les Parapluies de Cherbourg reviendront au Monument-National, au même moment où Cindy de Luc Plamondon débutera à Paris, et que nous verrons plus tard à Montréal.

Jamais autant de comédies musicales n’auront vu le jour en si peu de temps à Montréal. Certes, la métropole ne rivalise pas avec Toronto, deuxième plus gros marché en Amérique du Nord après Broadway. Or, il ne fait plus aucun doute que le genre, longtemps boudé par le public, plaît de plus en plus aux Québécois.

"Démographiquement parlant, tout nous dirige vers les comédies musicales, estime Charles Joron, président des Productions Libretto. Le spectateur type a 44 ans. C’est un baby-boomer qui est tanné des concerts pop ou rock. Il en a trop vu depuis 25 ans. Ses goûts ont évolué. Il est maintenant prêt pour autre chose."

Ce quelque chose rassemble à un condensé de plusieurs expériences artistiques vécues par le baby-boomer. "Le public des comédies musicales est très exigeant", souligne Jean Grand-Maître, metteur en scène de la création québécoise de Roméo et Juliette, de Gérard Presgurvic, qui a fait un tabac au Palais des Congrès à Paris en 2001, et qui a déjà vendu plus de 60 000 billets au Québec! "Les spectateurs veulent vivre des émotions fortes, voir de bonnes chorégraphies, être touchés par les voix, impressionnés par les changements de décor et de costumes! C’est très complet comme spectacle. Pour moi, monter une comédie musicale, c’est un énorme défi. C’est aussi difficile à réussir qu’un ballet à l’Opéra de Paris", juge le chorégraphe québécois qui poursuit une carrière internationale depuis 12 ans, et qui sera en juillet le nouveau directeur du Alberta Ballet à Calgary.

Le talent québécois
À l’instar de Roméo et Juliette, la production des Dix Commandements est entièrement renouvelée à Montréal, de la distribution aux costumes, en passant par l’ingénierie. "Il y a un immense réservoir de talent au Québec", affirme le producteur Thierry Muttin, un Français installé ici depuis trois mois pour superviser ce gigantesque péplum musical vu par 1,3 million de spectateurs en Europe. "Pour Les Dix Commandements, Montréal est notre plate-forme de production et de création pour tous nos projets nord-américains, dont la version anglaise qui prendra l’affiche à la mi-juillet à Toronto."

"Si les comédies musicales s’implantent pour de bon au Québec avec des distributions nouvelles, je suis heureux de constater que ça donnera du travail à des artistes d’ici (chanteurs, danseurs, comédiens, concepteurs)", remarque Jean Grand-Maître… D’ailleurs, en réalisant que les billets ne s’envolaient pas très vite, les producteurs des Dix Commandements auraient finalement décidé d’inclure à leur distribution des vedettes québécoises connues: Mario Pelchat, Boom Desjardins et Martine Saint-Clair se joindront aux artistes européens.

"Je pense que le fait qu’il y a beaucoup de chanteurs-vedettes au Québec contribue au succès du théâtre musical", confirme Jean Grand-Maître. Le metteur en scène de Roméo et Juliette répète avec, outre le couple de jeunes premiers (Hugo Lapointe et Marie-Ève Gauthier), les Marie-Denise Pelletier, Matt Laurent, Manuel Tadros…" Le public aime voir leurs vedettes ailleurs que dans un concert, dans un univers dramatique, dans la peau d’un personnage. Et c’est aussi le cas aux États-Unis. De plus en plus de chanteurs et de chanteuses font des incursions dans d’autres disciplines artistiques: cinéma, théâtre, soap-opéra…"

Par contre, à Toronto, les spectateurs achètent des billets pour aller voir un show et non des vedettes. "De toute façon, à Toronto, nous n’avons pas de stars, lance David Mirvish. Nos stars sont américaines ou britanniques." Le producteur de Cats, Rent, Lion King et autres gros musicals dans la Ville reine dit qu’il s’assure à ce que les distributions soient de haut calibre. "Tant mieux si on retrouve des interprètes canadiens connus du public. Mais le critère numéro un, c’est l’excellence."

Un vice musical…
Diplômé des HEC, Charles Joron se définit comme un cartésien passionné depuis toujours par les comédies musicales. En 1997, il a quitté Spectra Scène pour fonder Libretto, une compagnie dont le mandat est de produire des spectacles de théâtre musical… Après Black Birds of Broadway au Festival de Jazz, Les Parapluies de Cherbourg l’été dernier, à Joliette et aux FrancoFolies, Libretto va produire l’adaptation française (signée par Jacques Brel) de Man of la Mancha, un des musicals les plus populaires à Broadway dans les années 60.

"Longtemps, c’était presque un vice d’aimer les comédies musicales, se rappelle Charles Joron. Les gens trouvaient ça ringard, sucré, superficiel. Ils avaient une vision très Hello Dolly, des filles en robes roses, en cinémascope. Souvent, on n’acceptait pas la convention que des personnages se donnent la réplique en se mettant à chanter! Pour plusieurs, ça enlevait toute vérité."

Puis vinrent Starmania et Notre-Dame de Paris. Contrairement au monde entier, la France a toujours été un marché rébarbatif au musical anglo-saxon. Idem pour le Québec. Certes, Les Miz ou Phantom of the Opera ont connu un succès ici. Mais il demeure assez marginal en comparaison avec l’engouement des Ontariens. En créant des spectacles mettant en valeur la musique (le succès sur disque précède la création des shows), Luc Plamondon a réinventé la comédie musicale aux goûts du public francophone. Proche du music-hall ou du show rock, la comédie musicale à la Plamondon met en scène une série de tableaux sans véritable ligne dramatique. Contrairement aux musicals américains où le livret prime, on n’y suit pas vraiment une histoire: on regarde surtout des interprètes performer.

À tout seigneur tout honneur, Luc Plamondon a popularisé le théâtre musical au pays de Tremblay (200 000 Québécois ont applaudi Notre-Dame de Paris). Le parolier a aussi prouvé aux sceptiques que la comédie musicale peut être rentable et exportable. Car, de tous les spectacles vivants, c’est le plus dispendieux (entre 6 et 15 millions de dollars par production sur l’échelle de Broadway), donc le plus risqué. "C’est toujours un coup de dé", confirme Charles Joron. Et même Luc Plamondon – qui a déjà connu un remarquable échec avec i, le dernier show de Marc Drouin – avoue replonger dans le vide avec Cindy…
Toutefois, plus que la réussite financière, Plamondon a su attirer des artistes de diverses disciplines, tels Gilles Maheu et Lewis Furey, dans ses entreprises. Ce qui peut expliquer pourquoi un cinéaste, un chorégraphe et un homme de théâtre signeront respectivement les mises en scène des Dix Commandements (Elie Chouraqui), de Roméo et Juliette (Grand-Maître) et de L’Homme de la Mancha (René Richard Cyr). "C’est comme faire un long plan-séquence de deux heures! explique Elie Chouraqui, réalisateur de Paroles et musique. Tout (la musique, les voix, la danse, le jeu, les changements de décor) doit être d’une grande fluidité. Et, en plus, on dirige des chanteurs qui n’ont jamais joué… J’étais sans doute inconscient quand j’ai décidé de monter Les Dix Commandements, car je n’avais jamais fait de mise en scène au théâtre. Ce qui m’a attiré, c’est l’histoire. C’est une grande quête éternelle et universelle pour un monde meilleur. Et je suis comblé. Une femme m’a dit à la fin d’une représentation en France qu’elle avait l’impression, en voyant le spectacle, que tout est possible!"

C’est peut-être cela, la clé de la popularité du théâtre musical: la comédie musicale nous fait tout simplement rêver d’un monde meilleur. Peut-être un impossible rêve… mais un agréable baume sur les plaies de l’humanité.

Les Dix Commandements
Jusqu’au 7 avril
L’Homme de la Mancha
Dès le 11 juin
Roméo et Juliette
Dès le 18 juin