2000 Questions : La bourse ou la vie?
Scène

2000 Questions : La bourse ou la vie?

L’auteure Annabel Soutar a intitulé sa pièce 2000 Questions, probablement parce qu’elle n’avait aucune réponse à ses nombreuses interrogations sociales et existentielles.

L’auteure Annabel Soutar a intitulé sa pièce 2000 Questions, probablement parce qu’elle n’avait aucune réponse à ses nombreuses interrogations sociales et existentielles. Et c’est tant mieux. Poser des questions, disait Jean Genet, c’est la fonction du théâtre. Encore faut-il savoir poser les bonnes…

Après Novembre, créée en janvier 2000, madame Soutar, diplômée de l’Université Princeton, renoue avec son approche de "théâtre documentaire" qui forme la mission artistique du Projet Porte-Parole, compagnie présentant 2000 Questions à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 6 avril. Or, cette fois, au lieu de la politique, elle scrute les hauts et les bas du milieu boursier.

La pièce est basée sur des entrevues auprès de courtiers, de gestionnaires et autres analystes financiers. Elles ont été réalisées par Soutar et Alex Ivanovici (les deux fondateurs du Projet Porte-Parole. Le résultat de leur recherche a donné du matériel et des personnages fort intéressants dramatiquement. Et, à mon avis, c’est lorsque nous sommes plongés au coeur de cet univers cupide à la limite du surréalisme que le texte fonctionne le mieux. Car ces hommes (et quelques femmes) ambitieux et névrosés sont des êtres avides de pouvoir, un thème qui nourrit le théâtre depuis les Grecs.

Pour faire un lien entre les nombreux personnages de la pièce, l’auteure a imaginé Hélène, une sociologue qui interviewe les courtiers pour une étude sur le marché financier et les rouages du système capitaliste. Mais sa recherche est aussi motivée par sa volonté de régler sa relation avec son père qui a négligé sa famille pour la finance.

Ce personnage omniprésent qui tranche radicalement avec les autres m’a semblé agaçant et inutile au récit. Les blessures familiales d’Hélène nous éloignent des prémisses du texte; elles feraient l’objet d’un texte à part pour une autre production. Ce personnage est aussi mal défini. On voit toujours Hélène avec une enregistreuse à la main pour mener ses entrevues, mais elle se déplace en contorsion, comme si elle planait au-dessus de la scène. Est-ce un personnage réaliste ou onirique?

Certains interprètes manquent d’expérience, ce qui se ressent par moments. Toutefois, on retrouve dans cette distribution bilingue (qui joue surtout en anglais) quelques bons comédiens: l’excellente Jennifer Morehouse (qui campe quatre personnages), Donovan Reiter et Alex Ivanovici, qui signe également la mise en scène. C’est du côté de celle-ci qu’on trouvera les principales qualités de ce spectacle parfois un peu long et naïf. Alex Ivanovici a brillamment illustré le côté étrangement ludique de ce monde sérieux et conservateur ("les investisseurs sont devenus des joueurs compulsifs", dit un protagoniste). Sa mise en scène est aussi remplie de belles trouvailles scéniques. Mentionnons l’utilisation de grands rubans blancs servant à la fois d’accessoires et de dispositifs scénographiques. La musique est aussi une trame dramatique avec une D.J. (Killia-Jewel) présente sur scène.

Bref, le Projet Porte-Parole réalise ici une création originale et brillante où l’on trouve grandement matière à réflexion. Malgré un sujet comique et caricatural, Annabel Soutar reste une artiste sensible qui évite le manichéisme. Il aurait fallu toutefois que l’auteure élague son propos, qu’elle abandonne certaines pistes en répétitions, et qu’elle se pose peut-être un peu moins de questions pour une pièce.

Jusqu’au 6 avril
Cinquième Salle de la Place des Arts