Après la pluie : Sur un toit brûlant
Scène

Après la pluie : Sur un toit brûlant

Ils se sont engagés, par écrit, à ne pas fumer. Pourtant, sur le toit d’une tour à bureaux de 49 étages, ils se croisent, s’observent. S’échappant momentanément du travail, ils vont y fumer la cigarette interdite.

Plus que la peur d’être dénoncé, c’est la pression incessante de la performance qui met à cran les personnages de la pièce Après la pluie de Sergi Belbel. Sans compter la sécheresse qui sévit depuis deux ans, et qui les rend tous plus irritables, "prêts à exploser" précise le comédien Normand Lévesque. "Ces personnages passent leur vie à travailler. Un moment donné, ce n’est plus possible: si on ne prend pas sa vie en mains, tout va sauter. Plus la pièce avance, plus on sent l’orage. L’édifice est comme un volcan. Les gens vont régler leurs comptes, vont vomir toute leur vie sur le toit. Même si c’est souvent drôle, c’est assez grinçant."

La pièce, écrite en 1997 par un auteur catalan très joué en Europe, dévoile les désirs et frustrations des employés d’une grande entreprise. Fumeurs impénitents, ils s’épient. Entre eux s’esquissent des conversations, des relations, bloquées souvent par la crainte, le souci de l’avancement, la difficulté de communiquer. "Les personnages sont assez centrés sur eux-mêmes, observe le comédien. Ce n’est pas l’empathie qui les étouffe…"

Très actif depuis une trentaine d’années à la télévision, au cinéma et à la scène, Normand Lévesque incarne un directeur administratif. "C’est quelqu’un de très froid, bête, condescendant; on le craint un peu. Pourtant, le pauvre gars est vraiment excédé. Il est écrasé par sa patronne, traverse une crise dans sa vie de couple." Il voudrait bien en parler. Mais devant l’incompréhension et l’individualisme de chacun, il se referme.

Derrière leur façade, tous ressentent, de même, un profond malaise. "Plusieurs ont un fantasme semblable: se jeter en bas de l’édifice, ou s’envoler. Ils sentent que ça leur ferait du bien: sortir de cette prison qu’est leur vie." Image d’une société étourdie d’obligations, abrutie de travail. "C’est une critique sociale assez vinaigrée. Tu ris, mais c’est profondément triste."

Coproduction du Théâtre Niveau Parking et de la Compagnie Jean Duceppe, la pièce réunit des artistes de Québec et de Montréal. Michel Nadeau, assisté de Geneviève Lagacé, signe la mise en scène; il est entouré des concepteurs Anne Duceppe, Denis Guérette, Jean Hazel, Jean-François Pednô et des comédiens Marie-Josée Bastien, Paul-Patrick Charbonneau, Lorraine Côté, Danielle Lépine, Normand Lévesque, Véronika Makdissi-Warren, Michel Poirier et Linda Roy.

"C’est une pièce vraiment intéressante. L’écriture et la forme sont particulières, et sortent des sentiers battus. J’adore ça!" Après Michel Tremblay, Molière, Botho Strauss, Goldoni, Arthur Miller et tant d’autres, Normand Lévesque aborde avec enthousiasme l’univers volontiers absurde de Sergi Belbel. "C’est ça le grand plaisir d’être acteur: ouvrir ces tiroirs-là, visiter ces alvéoles-là. C’est excitant: il y a toujours une "bibitte" nouvelle que je n’ai pas encore explorée! L’être humain est infini; et je ne suis jamais fatigué de scruter l’être humain. J’essaie de comprendre, sans juger."

À cette fascination s’ajoute le sentiment d’une mission, qui le porte aussi. "Le théâtre permet de faire comprendre des choses, que parfois les gens ne veulent pas entendre, ne veulent pas voir. Ma mission est là: dénoncer les absurdités de la vie, de l’être humain, ses contradictions."

"Dans Après la pluie, les personnages fument compulsivement. Ils ont besoin de sortir de cette vie-là; il faut qu’ils le fassent, insiste Normand Lévesque. Quand on devient étourdi par quelque passion que ce soit, à un certain moment, il faut que ça ralentisse un peu, sinon on va craquer. Faut vivre sans être esclave du travail, de la consommation, de la compétition. Si on se laisse siphonner, on passe à côté de la vie. C’est de ça que parle la pièce de Belbel."

"Si une personne dans la salle comprend, j’ai rempli ma mission. Et je parle pour moi aussi: j’y pense tous les jours."

Jusqu’au 27 avril

Au Théâtre Périscope
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