Les 10 ans de Lorraine Pintal au TNM : Un bilan positif
En mars 1992, Lorraine Pintal devenait la première femme à accéder à la direction du Théâtre du Nouveau Monde. Dix ans plus tard, force est de constater que le bilan est très positif.
En mars 1992, Lorraine Pintal devenait la première femme à accéder à la direction du Théâtre du Nouveau Monde. Dix ans plus tard, force est de constater que le bilan est très positif. Sous son règne, le TNM a épongé son énorme déficit, assaini les relations de travail (longtemps conflictuelles) avec ses employés, rénové son théâtre, renouvelé son public et presque triplé le nombre de ses abonnés, passant de 4000 à plus de 11 000 personnes.
Côté artistique, madame Pintal peut se réjouir des succès publics et critiques de Don Quichotte, L’Odyssée, Le Songe d’une nuit d’été, La Locandiera, Le Temps et la Chambre, et aussi du rayonnement de sa compagnie à l’international avec la présentation de L’Hiver de force à l’Odéon, en France. Lors de sa nomination, la directrice espérait pouvoir monter deux créations québécoises sur six productions par année. Elle en a programmé beaucoup moins: une par année… en incluant les adaptations du répertoire par des artistes d’ici.
De ses deux chevaux de bataille, l’administratif et l’artistique, le premier semble avoir accaparé davantage la directrice rencontrée la semaine dernière au TNM. "Contrairement à ce que je croyais, les premières années ont servi à éteindre des feux. Toute l’équipe s’est roulé les manches pour régler des crises (financière, syndicale et de confiance avec le public). Ensuite, la rénovation de la salle a canalisé les énergies. Juste pour ce projet, entre 1995 et 1997, j’ai parlé à cinq différents ministres de la Culture à Québec! Je me demande parfois si ce n’est pas une tactique pour faire reculer des dossiers (rires). Or, pour moi, la santé du TNM passait indéniablement par la revitalisation de son lieu. Tous mes prédécesseurs en ont grandement souffert. Ils avaient ce boulet à leur cheville."
Au printemps 1997, le TNM nouveau est arrivé puis, en octobre dernier, on fêtait son 50e anniversaire. "Quand je regarde le chemin parcouru et les objectifs de départ, explique Lorraine Pintal, je peux dire qu’on a livré la marchandise. Et je dis bien ON, parce que c’est un travail d’équipe. Par contre, ma désillusion, c’est d’avoir cru naïvement que je pouvais le faire en trois ans, puis en cinq ans. À mon grand désespoir, ça a pris neuf ans…
"En Europe, le théâtre est inscrit politiquement, socialement et culturellement dans les vies, poursuit Pintal. La partie est plus facile là-bas. Au Québec, notre histoire théâtrale s’écrit très lentement. Et c’est souvent l’usure qui fait qu’à un moment donné, de grands visionnaires abandonnent, parce qu’ils ne se croient plus capables de réaliser leur rêve."
"Vous pensez à Jean Gascon?"
"Oui. Mais je pense aussi à tous mes collègues qui dirigent actuellement des compagnies. Je pense aux gens du Quat’Sous qui essaient depuis plusieurs années de faire aboutir leur projet. Je pense à Denis Marleau qui devrait avoir un lieu, car ce n’est que la suite logique pour un artiste renommé qui veut implanter son action dans le tissu urbain de la Cité. Je crois, comme Jean Vilar, au rôle du théâtre dans la société. Pour moi, le théâtre est un service public essentiel."
Public et privé
Les années Pintal, c’est aussi la nouvelle image du TNM, façonnée avec ses complices aux communications: Nadine Marchand et Loui Mauffette. Certains la jugent un peu racoleuse, trop marketing. Mais Pintal défend leurs choix. "Une campagne de publicité comme "Ailleurs qu’à la télé; l’émotion en personne", qui misait sur les stars du petit écran, a été détournée de son sens. J’entends encore des créateurs dire à la radio que c’était de la séduction de bas étage… C’est épouvantable de détourner le sens d’une publicité à ce point. J’ai travaillé en télévision sur des émissions qui avaient des cotes de 1,8 million de personnes par soir. Et je voulais aller chercher une petite partie de cet auditoire en disant aux gens de sortir de chez eux et de venir au théâtre. Et le public a compris le message."
Côté financement, le TNM – son budget global est d’environ cinq millions de dollars, dont 30 pour cent provient de subventions gouvernementales – lorgne de plus en plus du côté du privé. "Il n’est pas question de vivre une période artistique de vaches maigres parce que les subventions plafonnent, répond la directrice. Je ne veux pas sacrifier l’envergure de nos shows. Le TNM est un des rares endroits au Québec où l’on peut faire des grosses productions épiques, ou des créations québécoises avec plus de 15 acteurs sur scène. Et c’est normal, le TNM a cette mission. Pour ce, il a fallu aller chercher des sources de financement privées. Mais je parle de mécénat, pas de commandite. Toutefois, je crois fermement qu’un théâtre comme le TNM doit être pris en charge par l’État. Sinon, c’est sa mort. Mais en marge de ça, il faut trouver d’autres voies."
Lundi prochain, Lorraine Pintal annoncera sa 11e saison. Des scoops? Elle préfère garder ses choix secrets. On sait toutefois que sur six productions, il y a aura une création québécoise, en plus de la reprise du spectacle de Robert Lepage, La Face cachée de la lune, avec Yves Jacques. Pour la première fois en 10 ans, Pintal ne fera pas de mise en scène de la saison. L’annulation de L’Hiver de force (lors du dernier FTA) et le fait que bien des spectacles signés par la metteure en scène depuis 10 ans (Stabat Mater, Monsieur Bovary, Les Sorcières de Salem…) aient été froidement accueillis ne sont pas étrangers à sa décision. "Cette année, j’ai trouvé ça très dur de concilier ma nature d’artiste avec mes fonctions de directrice; c’est herculéen! Ceux qui l’ont fait avant moi ont toute mon admiration. Lorsque Georges Lavaudant s’enferme pendant trois mois en salle de répétition avec L’Orestie, par exemple, il n’a plus les préoccupations de la direction de l’Odéon. Il faut aussi préserver le territoire de la création au Québec. Pour ce, on doit développer de meilleures conditions de travail. L’institution, c’est formidable, mais ça peut être aussi un carcan à l’expression plus libre du créateur. On a rendu hommage au passé cette année. Là, je regarde vers l’avenir. Mes priorités pour les prochaines années, ce sont l’amélioration des conditions de travail pour les artistes, la place de la relève, et le renforcement de la position du TNM sur la scène internationale."