Fool for Love : L'envers du rêve américain
Scène

Fool for Love : L’envers du rêve américain

On pourrait appeler ça une combinaison gagnante. C’est étonnant tout ce que les dramaturges, scénaristes et romanciers ont pu obtenir en enfermant un homme et une femme dans une chambre de motel.

On pourrait appeler ça une combinaison gagnante. C’est étonnant tout ce que les dramaturges, scénaristes et romanciers ont pu obtenir en enfermant un homme et une femme dans une chambre de motel. Ainsi en est-il de Sam Shepard qui nous a offert, en 1983, Fool for Love, une bouleversante tragédie contemporaine se déroulant dans un motel miteux du Sud-Est de la Californie. Une pièce qu’il a lui-même mise en scène avant qu’elle ne soit immortalisée sur pellicule par Robert Altman, avec Shepard et Kim Basinger dans les rôles principaux. Ce drame, qui a servi de tremplin à Roy Dupuis à sa sortie de l’École nationale de théâtre, il y a 15 ans, fait l’objet d’une nouvelle production à la Salle Fred-Barry, par les jeunes professionnels des Productions Kléos, épaulés pour l’occasion par quelques vieux routiers.

À leur demande, Pierre Legris a effectué une nouvelle traduction de cette pièce écrite dans une langue sauvage et poétique, en tenant compte de l’âge des interprètes (la vingtaine plutôt que la trentaine, comme le suggère la pièce). La triste histoire d’Eddie et de May met en scène des petites gens, écrasés par leur destin. Eddie vient de franchir 2480 milles pour retrouver May, qui avait profité de son absence pour fuir la misérable "roulotte traversée par le vent" qu’ils partageaient. Sauf que le cow-boy arrive trop tard, sa douce s’étant amourachée d’un autre homme. Quand ce pauvre bougre se pointe au motel de May, il tombe sur un Eddie armé et dangereux, qui le met K.-O. à coups de sordides secrets de famille. Dans la même chambre se berce le Vieil Homme, une sorte de père fantôme qui intervient pour justifier ses anciennes frasques.

Marie-Anne Alepin campe une May survoltée, qui se heurte aux meubles de la chambre et ressemble un peu, avec sa longue chevelure, à l’Alanis Morissette déchaînée de You Oughta Know. Heureusement, elle se calme et son jeu gagne en nuance à mesure qu’Eddie, lui, voit rouge. Dans la peau de ce dur à cuire, Louis-Olivier Mauffette est très juste, à la fois effrayant et attendrissant. Bonne nouvelle: nous reverrons ce comédien prometteur, qui rappelle un David Boutin à ses débuts, dans L’État des lieux, la prochaine création de Michel Tremblay. Affublé d’une barbe grise en bataille, Robert Lavoie est méconnaissable en vieil alcoolo, émouvant bien que peu loquace. Enfin, le nouveau soupirant de May est incarné par Jean-Dominic Leduc, trop caricatural en nigaud à casquette à carreaux. Le metteur en scène Guy Beausoleil a eu de bons flashs pour rehausser le surréalisme de la pièce, entre autres d’utiliser les murs comme s’il s’agissait du plancher et d’enfouir à demi les meubles dans le sable.

Le prolifique auteur (plus de 40 pièces et 10 scénarios, dont celui de Paris, Texas) semble convaincu que les liens du sang sont des chaînes étouffantes, dont ses personnages ne peuvent se départir. Fool for Love montre l’envers du rêve américain, sans offrir de happy end. Est-on condamné à répéter les erreurs de nos parents? La tromperie est-elle héréditaire? Eddie serait-il le digne fils de son père, même s’il s’en défend?

Pour en savoir plus, le spectateur devra, tout comme Eddie, prendre la route du motel où se planque May…

Jusqu’au 20 avril
À la Salle Fred-Barry