Dominic Champagne : Le saut dans le vide
Scène

Dominic Champagne : Le saut dans le vide

Fidèle à son désir de théâtraliser le cirque, GUY LALIBERTÉ a demandé à un metteur en scène du théâtre de création de signer le tout nouveau spectacle du Cirque du Soleil. Fidèle à lui-même, DOMINIC CHAMPAGNE aborde ce nouveau défi avec humilité et espérance.

Comme les hirondelles au printemps, le grand chapiteau jaune et bleu est de retour dans le Vieux-Port. Autour de cette tente, une centaine d’acrobates, d’artistes, de concepteurs et de techniciens s’affairent chaque jour sur le quai Jacques-Cartier. Car le Cirque du Soleil y a installé ses pénates en vue de la création de son tout nouveau spectacle, Varekai, présenté en grande première mondiale le 24 avril, avant de partir en tournée nord-américaine.

La dernière fois que Dominic Champagne a travaillé dans le Vieux-Port, il s’est cassé la gueule… Et d’aplomb! Il venait d’avoir 25 ans et il signait la mise en scène d’Import-Export, son deuxième show qu’il qualifie aujourd’hui de "flop monumental". Un après-midi, en fixant des projecteurs sur le toit du chapiteau où était présenté Import-Export, Champagne a fait une très mauvaise chute. Et il s’est retrouvé les deux jambes dans le plâtre, au repos forcé durant trois mois.

Quinze ans plus tard, il ne risque pas de se casser le cou. Reste que la vue de ce grand chapiteau jaune et bleu – symbole du Cirque du Soleil depuis 18 ans – lui donne tout de même le vertige. "C’est drôle, l’idée de la chute a été une source d’inspiration pour Varekai", explique Dominic Champagne, à qui le patron du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, a confié la mise en scène de la 14e production depuis 1984. "La chute, c’est l’ultime tabou pour les gens du cirque. Mais la chute peut aussi amener un artiste à prendre un autre élan. À l’époque d’Import-Export, la leçon que j’ai tirée avec ma mésaventure, c’est que les crises et les dépressions te permettent de t’arrêter, de te remettre en question et de rebondir. De renaître, en somme."

Varekai (prononcez va-ré-kaille) signifie "peu importe le lieu" dans la langue des romanichels. Ce qui s’applique bien aux artistes, saltimbanques et acrobates du cirque. Dans une forêt lointaine plantée au sommet d’un volcan existe un monde extraordinaire où des artistes sont venus des quatre coins de la terre pour dire la beauté et la joie des dépassements.

Un autre thème apparaît en marge de la chute, celui de l’errance. "L’errance, c’est une belle vie, estime le metteur en scène. Moi, je suis errant dans ma tête, car dans ma vie je suis un père de famille sédentaire qui aime s’installer dans sa maison de campagne. Tandis que les artistes de cirque, eux, sont des éternels nomades.

"C’est ce que j’ai voulu illustrer dans Varekai. Peu importe où le vent les emporte, les personnages risquent leur vie à défier les lois de la gravité et à bondir au-dessus des volcans, pour dire au monde que quelque chose d’autre est possible, poursuit Champagne. Et pour moi ça représente l’art du cirque: peu importe où le cirque va, avec son langage universel, il dit au monde que tout est possible. Et cet art s’adresse à tout le monde, de la reine Élisabeth à un enfant de cinq ans."

Esprit festif
On reconnaît ici encore l’esprit festif, présent dans bien des shows du Théâtre Il va sans dire (Cabaret Neiges noires, Lolita, Don Quichotte), qui anime le travail de Dominic Champagne. Mais le côté cynique en moins. "C’est sûr que c’est un show grand public et qu’il y a moins de place pour le cynisme et l’absurdité. Il y a un dosage entre une partie plus colorée et fantaisiste, et une autre plus sombre et dramatique."

Le vertige peut aussi être suscité par l’envergure du projet. "Moi, j’ai l’habitude de chauffer une Volkswagen. Au TNM, je croyais me battre avec une grosse machine, ben là je me suis frotté à une machine encore plus lourde. L’Odyssée, c’était ma production la plus compliquée en termes de technique; ici, c’est 1000 fois pire. Mais c’est une grosse machine qui vient de la tradition artisanale."

Selon Champagne, Guy Laliberté a eu une bonne idée de prendre un risque en confiant la mise en scène à un "Newfie", afin de respecter la tradition de la théâtralité du Cirque. "Il aurait pu appliquer sa recette gagnante en clonant des shows qui ont eu du succès (il y a actuellement sept spectacles du Cirque qui sont présentés quelque part dans le monde). Et Varekai est le show du Cirque qui contient le plus de numéros originaux. On a pris beaucoup de risques. L’intégralité des numéros est fait ici. Dans le tradition du Cirque, chaque création est un work in progress. Mais on va essayer de faire plus work que progress. Certains numéros sont répétés depuis mars 2001 à raison de 25 heures par semaine! Et ce n’est que le début d’un show qui peut durer deux, trois, quatre ou cinq ans!"

Malgré tout, Dominic Champagne a abordé la mise en scène de ce show en toute humilité. Il travaille avec des acrobates médaillés d’or et des concepteurs d’expérience: dont Stéphane Roy au décor; Violaine Corradi à la musique; Michael Montanaro et Bill Shannon aux chorégraphies; André Simard aux numéros aériens; et Jaque Paquin à la conception des gréements, c’est-à-dire l’accrochage de l’ensemble du matériel scénique et la création des appareils acrobatiques.

"Je suis en apprentissage, dit-il. Je ne veux pas dire qu’il n’y a plus de mystère au théâtre. Mais avec mes créations pour Il va sans dire, je suis en terrain connu. Ici, je travaille avec des gens de 12 pays différents et ce melting-pot est très stimulant… Ma job, c’est de servir les artistes dans leurs numéros. Pas de raconter mon histoire. Certes, on va reconnaître ma touche, ma signature. Mais c’est un travail d’équipe. Il y a beaucoup de choses que je ne connais pas et pour lesquelles je dois me fier aux autres. Je ne pense pas que je vais réinventer le cirque réinventé. Je fais actuellement un voyage en pays étranger."

Comme les saltimbanques depuis la nuit des temps.

Dès le 24 avril
Supplémentaires du 5 au 9 juin et du 14 au 16 juin
Au Quai Jacques-Cartier (Vieux-Port)

À Québec dès le 27 juin, et à Toronto dès le 1er août