Délit de fuite : Maudite machine!
Scène

Délit de fuite : Maudite machine!

Travaillez-vous trop? Vous sentez-vous impuissant? Êtes-vous heureux? Croyez-vous vraiment vivre une époque formidable? Voilà un échantillon des questions que pose la pièce Délit de fuite

Travaillez-vous trop? Vous sentez-vous impuissant? Êtes-vous heureux? Croyez-vous vraiment vivre une époque formidable? Voilà un échantillon des questions que pose la pièce Délit de fuite, imaginée par trois créateurs bien décidés à ne pas finir comme des pétards éventrés, dont la mèche se serait consumée trop vite. L’auteur Claude Champagne, le metteur en scène Fernand Rainville et l’excellent comédien André Robitaille tenaient à dénoncer l’ambition démesurée, cette peste qui afflige bien des trentenaires et contre laquelle ils espèrent s’immuniser. Les superwomen sonnent l’alarme depuis un moment déjà, au tour des supermen de donner l’alerte: les héros sont fatigués. Ils en ont marre de perdre leur vie à la gagner.

Jean Paré (André Robitaille) est un jeune loup insatiable. Un fendant qui traverse la vie la pédale au fond. Un soir, il heurte un piéton sur une route de campagne. Sous le choc (et plutôt saoul), il fouille le moribond, découvre son adresse, et décide de se rendre sur place pour acheter le silence de la famille. Le pauvre bougre meurt quelques instants plus tard, mais cela n’arrête pas Jean, convaincu des vertus du damage control, dont il a fait son gagne-pain. La maison est vide. Il s’y cache, le temps d’élaborer un plan d’attaque. La réflexion sera plus longue que prévu, notre fabricant d’images se rendant soudain compte de la vacuité de son existence. Il est tenté de tout envoyer promener, en commençant par ce ministre accusé de harcèlement à qui il a promis de refaire une virginité…

André Robitaille en carriériste immoral, en nettoyeur de crimes commis par les puissants de ce monde? Étonnamment, le comédien à la bouille sympathique est crédible, drôle par moments, et émouvant quand il le faut. Tellement juste dans ce rôle écrit pour lui qu’on le voudrait seul sur scène, même si Stéphane Brulotte joue avec aplomb le macchabée bavard, ainsi que l’ami Charles, autre mort appelé à dialoguer avec notre héros. C’est dans les monologues que Robitaille est le meilleur; entre autres, lorsqu’il imite un ministre déchu pleurant à chaudes larmes (tiens, tiens, ça nous rappelle quelque chose!), ou quand il délire sur l’existence de Dieu – "et si la lumière au bout du tunnel, c’était juste celle du train qui vient, question d’être certain qu’on soit bien mort?". La force de ce thriller à la prémisse usée (voir le roman Le Bûcher des vanités ou le film Maelström), plus amusant que haletant, tient en grande partie à cette performance.

Mis en valeur par les éclairages d’Éric Champoux, le décor de Raymond Marius Boucher est d’une belle simplicité. Certaines projections de l’équipe de tournage Slik apportent beaucoup à l’histoire (dont la biographie en images de Jean), mais d’autres (les corps dans l’eau) finissent par distraire inutilement de l’action. Des petites imperfections, qui n’enlèvent rien à l’à-propos de cette création. Tenté d’emprunter le chemin le moins fréquenté, Jean Paré (celui de la pièce, pas le fondateur de L’actualité…) entraînera-t-il des spectateurs à sa suite? Cela reste à voir, mais une chose est sûre: arrêter sa course deux heures pour observer un workaholic se remettre en question, c’est déjà un bon début.

Jusqu’au 18 mai
Au Théâtre d’Aujourd’hui