Isabel Richer : Mouvements et désirs
Après avoir pris congé des planches durant plus d’un an, ISABEL RICHER réintègre cet espace de prédilection qu’est pour elle le théâtre, campant Stella dans Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams.
Nous avons pris rendez-vous au téléphone, vers midi. À l’heure dite, elle répond, calme, douce, sa voix est claire et assurée. Derrière elle, un drôle de bruit retient mon attention pour un moment, un gazouillement régulier que je finis par reconnaître… la voix d’un bébé. Il prendra part à l’entrevue lui aussi, m’annonce-t-elle en rigolant, le temps de remonter le petit jouet qui décolle en trombe dans un boucan de cirque animé. Nous aurons un moment pour parler de théâtre, de cinéma, de télévision. Et de la vie, à laquelle Isabel Richer semble tenir plus qu’à une quelconque gloriole médiatique.
Car la jeune comédienne de 36 ans défraie les pages des revues artistiques comme celles des canards à potins depuis que, en plus de connaître l’un des envols les plus fulgurants en matière de carrière, on la sait aux côtés de Luc Picard et de leur premier enfant. "Vivre avec une personne connue apporte des avantages et des inconvénients, résume-t-elle non sans prudence. Quand on pratique ce genre de métier, marqué par le stress et l’angoisse, c’est bien de côtoyer un homme qui comprenne intuitivement les périodes difficiles comme les moments plus glorieux." C’est tout ce que nous saurons à propos du couple, qui s’efface naturellement derrière la femme, à qui nous pourrions consacrer 10 articles sans rendre complètement la complexité du charme qui en fait l’une des têtes d’affiche québécoises de l’heure.
La pente raide
Si Isabel Richer oscille constamment entre théâtre, cinéma et télévision depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre en 1993 (refusant même certains rôles faute de temps), ses débuts dans le milieu artistique annonçaient des moments plus durs. "À l’âge de 19 ans, j’ai été renvoyée du programme de théâtre au cégep de Sainte-Thérèse; j’avais énormément de pudeur, j’étais très timide sur une scène. Sur le coup, je l’ai mal pris, évidemment, se souvient-elle. Mais après avoir voyagé en Europe, pris du recul, m’être questionnée à propos de ce métier et de ma volonté d’y réussir, j’étais plus mûre, prête à retenter ma chance. D’avoir été remerciée gentiment m’a permis de prendre du temps et je suis rentrée à l’École nationale de théâtre à 23 ans, un âge idéal dans mon cas."
Cette lucidité suivra le fil de son propos tout au long de l’entrevue; il serait facile d’y déceler de la rancoeur envers l’institution qui a boudé son talent (et qui doit aujourd’hui s’en mordre les doigts!). Pourtant, un tel sentiment semble n’avoir guère de place pour s’épanouir dans le coeur de la comédienne, qui insiste plutôt sur les expériences survoltantes qu’elle a vécues depuis. De son rôle de Roxan dans l’Eldorado de Charles Binamé à celui de Stella dans Un tramway nommé désir, sept ans de travail acharné se sont écoulés; un parcours duquel elle retient surtout le bonheur de s’être fait offrir des rôles aussi variés, ce qui lui a permis d’approfondir son art du jeu à une vitesse fulgurante. "Quand j’ai joué dans Lobby, par exemple, Jean-Claude Lord m’avait donné le rôle d’une femme d’affaires déterminée, qui avait du pouvoir, deux enfants et d’immenses responsabilités sur les épaules. Je n’en revenais pas, et je lui disais: "Voyons, je ne peux pas jouer une adulte!" Il riait en me répondant: "Mais t’es une adulte!", raconte-t-elle amusée par sa propre naïveté. J’avais alors 29 ans et on ne m’offrait que des rôles de jeunes filles, je n’avais donc pas pris conscience d’être devenue femme. C’est souvent par la perception des autres qu’on se révèle à soi-même. Les gens voient en nous des traits de caractère qui nous échappent parfois."
Le labo de la diversité
Contrairement à certaines actrices qui se cantonnent dans un seul genre, Isabel Richer puise dans la diversité de ses interventions artistiques une inspiration féconde, et le bonheur de mener une carrière en usant de voix multiples. "Je ne pourrais pas faire seulement du théâtre ou du cinéma, raconte-t-elle, j’aime beaucoup passer de l’un à l’autre. Après un an de tournage télé, j’adore m’attaquer à un texte de théâtre, avoir le temps de l’approfondir, de le questionner, de répéter longuement. Toutes des choses qu’on ne peut pas faire au cinéma, ici au Québec (à cause des budgets limités). La scène est pour moi un laboratoire où je peux travailler plus en profondeur, c’est un créneau idéal."
Ce qui ne l’empêche pas d’entretenir une curiosité et une prédilection pour le septième art, explorant d’autres facettes du métier qui la passionne en mettant de l’avant des atouts différents. "Ce que j’aime des plateaux de tournage, c’est qu’on est en contact direct avec tous les autres artisans du métier et les contraintes avec lesquelles chacun d’eux doit jouer pour que le film soit à la hauteur. Depuis mes débuts au cinéma, j’ai été inspirée tant par des acteurs, par des metteurs en scène que par des directeurs photo et des éclairagistes. C’est probablement cette polyvalence qui l’a guidée dans le choix des rôles qu’elle a incarnés jusqu’à aujourd’hui, personnages tous plus marginaux les uns que les autres, formant une galerie hétéroclite et disparate qu’elle dit vouloir enrichir par d’autres participations à caractère déroutant. "C’est toujours génial de se faire offrir des rôle différents, s’exclame-t-elle. Quand j’ai reçu le scénario de La Loi du cochon par exemple, j’ai eu un immense coup de foudre. J’y ai lu tout de suite les défis à relever, des détails du jeu dramatique que je n’avais pas encore abordés comme actrice."
Dans un tout autre registre, pullulent les réalisateurs qui lui offrent inlassablement le même genre de rôle, l’ayant figée dans un type en particulier. "Après avoir joué dans L’Ombre de l’épervier, j’ai reçu des dizaines de textes pour jouer des filles de la campagne, ce qui manquait certainement d’imagination!" Mais de telles situations sont vite occultées par les rafales de textes et de propositions stimulantes qui déferlent chez son agente et parmi lesquelles elle isole attentivement les perles rares.
Devant un tel engouement, il est étonnant de constater le calme et le détachement dont fait preuve Isabel Richer, nouvelle maman qui semble considérer cette responsabilité avec autant de passion que le choix des rôles à venir. Au sommet de la gloire, admirée du public québécois tant pour ses succès populaires que pour sa participation dans des films plus underground et moins commerciaux, elle se paie le luxe de prendre son temps, de considérer chacune des offres professionnelles avec le même sérieux, et de puiser dans ces moments de suspens l’énergie de continuer cette ascension à son propre rythme, et sans concession. "J’ai déjà essayé d’enchaîner contrat sur contrat et je ne me sentais pas bien ainsi. Il est primordial pour moi de m’éloigner du milieu artistique, de voir mes amis qui n’en font pas partie. Le temps que je prends pour vivre dans les moments d’accalmie me permet de laisser macérer mes expériences. C’est cette infusion de la vie personnelle qui m’inspire quand je retourne à la création."
La création et le désir
Après un arrêt de quelques mois qui lui a permis de prendre soin de son jeune fils et d’une famille qui connaît déjà les soubresauts d’une carrière qui n’a rien de conventionnel, Isabel Richer remonte sur scène, attendue par un public et une critique qui commençaient à se languir. C’est dans la peau de Stella que Richer réintègre le monde des planches, fébrile mais plus excitée que jamais à l’idée de camper un personnage aussi complexe. "Le théâtre de Tennessee Williams est riche, énigmatique, résolument moderne. Cet auteur a le don de créer des personnages qu’on ne saurait stigmatiser parce qu’ils recèlent tous un mystère et une âme. C’est un vrai cadeau pour moi que de jouer le texte d’un tel auteur." Mise en scène par René Richard Cyr, que la comédienne n’hésite pas à qualifier de brillant, sensible et rigoureux, la pièce risque, sans aucun doute, de ramener Isabel au faîte d’une gloire qui ne lui est plus étrangère. Qu’à cela ne tienne, allègue Isabel Richer en remontant la petite boîte musicale qui a servi de trame de fond à l’entrevue, "je travaille un personnage de la même façon s’il est issu d’un grand classique ou d’une création. L’important, c’est de partir de soi, et de voir ce qui émerge".
Les 7 et 8 mai
À la salle Albert-Rousseau
Voir calendrier Théâtre