L'État des lieux : Drôle de drame
Scène

L’État des lieux : Drôle de drame

Le nouveau Tremblay au TNM est une pièce mineure dans l’oeuvre du grand dramaturge québécois. Très comique et mordante, L’État des lieux a néanmoins une structure assez boiteuse.

Disons les choses carrément: telle qu’elle est créée actuellement au TNM, L’État des lieux apparaît comme l’une des pièces les plus faibles de Michel Tremblay. Alors que l’intelligence de la forme constitue souvent la force du dramaturge, cet affrontement en trois mouvements tient difficilement ensemble. Drôle d’objet qui cumule "trois pièces en une", et prend en sandwich, entre deux parties comiques, un bilan politique plaqué.

Certes, on se bidonne beaucoup devant la 24e pièce du doué auteur – sa première depuis l’excellente Encore une fois, si vous le permettez, montée en 1998. Surtout en première partie, où Tremblay prouve qu’il n’a rien perdu de sa verve mordante, merci au numéro de la cantatrice snob (Marthe Turgeon, dans une composition très punchée), qui déverse son venin sur ce "Ma-ré-al" qu’elle a renié, trou perdu où elle est revenue se réfugier après une défaillance de sa voix à l’Opéra Bastille.

On pourrait par contre aisément faire l’économie du personnage de l’accompagnateur et "caniche" de la chanteuse (convenablement incarné par Denys Paris, dans les circonstances), dont la narration redouble trop souvent le quasi-monologue de la diva. Sa seule fonction semble être de donner l’heure juste sur le déclin de la star internationale.

En troisième partie, c’est au tour du personnage de la colorée Rita Lafontaine de voler le show et d’enfiler les perles empoisonnées, en grand-mère indigne et truculente. La mise en scène d’André Brassard – qui s’amuse à habiller de styles différents cet univers très théâtral, chaque partie semblant épouser tour à tour la personnalité de l’une des trois femmes – lui donne une entrée digne d’un personnage de boulevard.

Toute la scène n’est, grosso modo, qu’une succession de one-liners – et de considérations sur le théâtre – qui s’étire, sans véritable ossature dramatique. Son rôle semble être d’ajouter une troisième voix au débat sur "rester ici ou partir" et sur la question nationale dont traite L’État des lieux: celle de l’actrice solidement implantée dans son coin de pays, mais qui se tient loin de la politique pour garder sa marge de manoeuvre de "libre penseur".

Auparavant, on avait eu droit à un affrontement entre la mère internationale et la fille nationaliste (Kathleen Fortin, maladroite avec un personnage mal défini) sur la question. Le problème, c’est que Tremblay ne donne à leurs arguments aucune transposition, aucune réelle incarnation dans la trame de l’intrigue. Il se contente essentiellement d’exposer trois positions divergentes qui s’annulent l’une l’autre. Bien schématique, tout ça.

L’État des lieux remet sur le tapis une question évacuée par la dramaturgie nationale, mais sans rien y apporter de vraiment neuf (outre le "c’est un péché de penser autrement" de la fille élevée dans la foi indépendantiste). Peut-être que Tremblay veut parler de trop de choses à la fois: la question nationale, la retraite de l’artiste, sa responsabilité par rapport à sa société, les relations familiales, etc.

Un artiste doit-il être local ou international? L’auteur d’Albertine – qui a pourtant résolu le dilemme en écrivant ses meilleures oeuvres sur sa famille – signe ici l’une de ses pièces les moins universelles, avec En circuit fermé. Certaines répliques juteuses ne font mouche qu’auprès d’un public initié, tant cette oeuvre nourrie d’allusions à l’opéra et au théâtre aligne des références très… locales.

Quant au drame de la diva déclinante, refusant de regarder en face la fin d’une carrière qui a constitué toute sa vie, thème qui s’annonçait pourtant comme le coeur de la pièce, il est noyé dans les rires et le débat politique, qui ne mène nulle part.

Jusqu’au 23 mai
Au Théâtre du Nouveau Monde