José Navas : Les racines du ciel
Plus jeune, à l’université, JOSÉ NAVAS a étudié l’auteur des Fleuves profonds. Aujourd’hui, il met en scène une pièce de José Maria Arguedas au Quat’Sous. Une première expérience.
De Caracas à New York puis à Montréal, de danseur à chorégraphe et maintenant metteur en scène José Navas n’a jamais eu peur du mouvement ou des sauts dans l’inconnu. Comme les néophytes Michel Tremblay et François Girard avant lui, le chorégraphe a donc dit oui à l’offre du Quat’Sous de signer une première mise en scène. À l’invitation de Wajdi Mouawad – qui a adapté Les Fleuves profonds, un "magnifique" roman péruvien.
"Au théâtre, on travaille avec le langage, des concepts, et le processus est complètement différent, constate le fort sympathique créateur. Je voulais que toute l’équipe de création provienne du théâtre, au lieu d’avoir des danseurs capables de jouer. Comme ça, pour moi, c’est une expérience nouvelle à 100 %. Il n’y a presque pas de mouvements dans la pièce, ce dont je suis content. C’était vraiment mon défi: comment effectuer la mise en scène sans faire danser Andrée Lachapelle (rires)…"
Avec ses concepteurs (dont Michel Beaulieu et Guillaume Lord), et une distribution complétée par Renaud Paradis et Isabelle Leblanc (incarnant un petit garçon!), José Navas s’est adjoint une équipe "très ouverte". Même si sa danse tend plutôt vers l’abstrait, le chorégraphe n’était pas étranger au théâtre, et surtout à la littérature. Cet homme de mouvements était d’abord un homme de mots, qui a étudié la littérature avant de découvrir la danse. "Mon père est journaliste, et chez moi, on était plus portés à lire qu’à regarder la télé. Vers 15 ans, c’était clair: je voulais devenir écrivain."
À l’université, l’artiste d’origine vénézuélienne a étudié l’auteur des Fleuves profonds, un Péruvien né en 1911 qui adopta la culture indigène quechua, et se fit le défenseur du "droit au mode de vie indien". "José Maria Arguedas est un écrivain fétiche pour ma génération en Amérique latine. C’était surtout un anthropologue, mais il a commencé à écrire des romans, de la poésie. Et ce mélange a donné quelque chose d’intéressant, d’un peu flyé. Quand j’étais à l’école secondaire, les gens qui lisaient Arguedas étaient considérés comme cool, parce qu’il faisait revivre une culture latino-américaine oubliée, et en donnait une autre vision."
Racontant l’enfance errante d’Arguedas à travers les Andes, ce roman publié en 1958 touche particulièrement l’autre José. "Ça me ressemble beaucoup. Ernesto, le protagoniste, est un mélange d’Indien et de Blanc. Et moi, je suis de la deuxième génération de cette sorte de mélange, avec des grands-mères indiennes et noires, et des grands-pères espagnols et italiens… On est comme entre deux mondes. Et c’est un peu de cette dichotomie qu’Arguedas parle toujours, de cette Amérique latine métissée, où les Blancs sont éduqués, riches, et les gens à la peau foncée sont plus pauvres, sans éducation…"
La pièce se concentre sur un bref moment de ce roman très complexe, alors que l’enfant, Ernesto, découvre la mort dans un collège décimé par le typhus, en accompagnant dans son dernier voyage une servante méprisée. Ce texte poétique raconte le passage de deux personnages d’un état à un autre. "Arguedas fait le parallèle avec l’Amérique latine, où toute une culture était en train d’être tuée, oubliée, et de se transformer en une autre culture. Quand j’ai déménagé à Montréal, et que j’ai commencé à apprendre le français, toutes ces discussions autour de la préservation de la langue ne m’étaient pas étrangères."
"C’est très important de rester proche de ses racines, affirme l’artiste installé au Québec depuis 1991. Souvent, on réinvente les choses, on en construit de nouvelles, et il y a une tradition qu’on oublie. C’est une pièce qui parle de l’importance d’être toujours conscient qu’il y a derrière nous quelque chose qu’il faut respecter. Et elle le fait avec espoir. C’est luminescent. Je trouve que c’est ça, la tradition, l’Histoire: la lumière, la connaissance. La culture est très liée à la façon dont on comprend la vie et la mort. De génération en génération, il y a eu un travail pour comprendre ce qu’on faisait sur cette planète. Et je pense que quand on perd nos racines, on perd un peu cette chaîne, on rompt avec ce processus naturel. Et c’est vraiment un danger."
Le chemin de la pièce passe par une acceptation de la mort, cette finalité que plusieurs d’entre nous s’efforcent d’oublier… "Mais être en paix avec sa mortalité, ça donne davantage envie de vivre." Cette belle sérénité transparaît chez José Navas, qui a perdu son conjoint il y a quelques années. "Ç’a été une leçon pour moi, quand j’ai vu mon copain mort, de sentir qu’il avait eu une vie magnifique. Le jour où je fermerai les yeux, j’aimerais pouvoir dire que j’ai vraiment goûté à la vie. Et ça m’a donné une force pour danser, pour voyager le plus possible. Tous mes rêves, comme de devenir l’un des meilleurs chorégraphes, c’est à moi de les réaliser. Il n’y a rien d’impossible. Et de toute façon, un jour, ça va être fini. Alors, j’ai peur de quoi? De rien."
Vous comprenez maintenant ce qui fait courir José Navas, qui vit à cent milles à l’heure, entre plusieurs projets. À son grand regret, le metteur en scène, appelé sous d’autres cieux, ne pourra d’ailleurs assister qu’à la première de sa pièce. "Je suis très curieux de voir la réaction du public. En danse, je sais quand la pièce est finie, et j’assume le produit final. Ici, c’est comme un bébé que je ne connais pas. Peut-être qu’il a trois têtes, six bras. Je l’adore, mais je ne sais pas s’il est normal…"
Jusqu’au 8 juin
Au Théâtre de Quat’Sous