

The Notebook – The Proof : Cahiers de jeu
Avec The Notebook et The Proof, la compagnie De Onderneming propose sa lecture de la Trilogie des jumeaux, d’Agota Kristof. Après avoir été chaudement accueillis dans une demi-douzaine de pays, les quatre comédiens offrent leurs premières représentations en sol québécois.
Nicolas Houle
Le collectif flamand De Onderneming – l’entreprise ou la société, en français – ne travaille pas tout à fait comme les autres troupes de théâtre. Chez lui, pas de direction générale, pas de direction artistique. Ce sont les comédiens qui assurent toutes les fonctions, de la mise en scène à la publicité, en passant par l’administration. Certes, plusieurs collaborateurs gravitent autour de la compagnie, fondée par Günther Lesage, Ryszard Turbiasz, Waas Gramser et Kris Van Trier en 1996, mais ils obéissent aux préceptes de la troupe.
"La ligne de conduite chez nous est qu’on réfléchit ensemble, résume Ryszard Turbiasz. Si on discute avec un type qui fait de la lumière, on s’attend à ce qu’il ne se plie pas à ce qu’on pense et qu’il défende son point de vue. Tout le matériel est ainsi confronté, questionné, qu’il s’agisse des costumes, des lumières ou de l’affiche. C’est une façon de travailler qui a été développée, je crois, chez nous, en Flandres et aux Pays-Bas."
Le grand cahier de l’enfance
De Onderneming a une approche résolument plurielle. Ici, pas question de se limiter à certains répertoires ou à une esthétique particulière. Une constante demeure toutefois: la qualité des textes, qui sont toujours la base des projets. Dans le cas du Grand Cahier, c’est Günther Lesage qui, séduit par la simplicité de l’écriture et par le potentiel scénique de l’oeuvre, a proposé à ses comparses de transposer le roman sur scène. La bande s’est donc affairée à faire l’adaptation de cette histoire traitant de guerre et d’identité, où deux jumeaux confiés à leur grand-mère durant la Deuxième Guerre mondiale développent différents mécanismes de survie et notent leurs expériences dans un grand cahier.
Comme plusieurs compagnies flamandes, De Onderneming est polyglotte. D’abord interprété en néerlandais, Le Grand Cahier a traversé les frontières et a pris sa forme définitive en anglais. Par une espèce de mimétisme, la troupe s’est ainsi approchée du contexte de création d’Agota Kristof, qui, bien qu’Hongroise d’origine, a écrit son roman dans une langue seconde: le français. "Cette façon de faire ne nous a pas éloignés de l’essence du texte, assure Turbiasz. Le Grand Cahier est écrit dans un français d’école, qui est presque toujours au présent, car c’est le langage de l’enfance. C’est donc un français très simple, qui s’adapte facilement."
Ce monde de l’enfance a aussi conditionné une approche sobre et sans artifice, qui mise avant tout sur le jeu et le texte, avec un nombre de comédiens réduit à quatre. Ryszard Turbiasz incarne plusieurs personnages, dont la grand-mère. "Pour faire la grand-mère, est-ce qu’il faut vraiment une grand-mère? s’interroge-t-il. Quand les enfants jouent ensemble, ils disent: "Moi, je suis le médecin, toi, tu es le malade." C’est un peu ce qu’on a fait."
La preuve universelle
En 2000, soit un an après avoir mis en scène Le Grand Cahier, De Onderneming poursuivait son travail avec La Preuve, adaptation qui combine La Preuve et Le Troisième Mensonge, les deux romans complétant la trilogie de Kristof. L’action se situe cette fois dans l’après-guerre. Lucas, qui est demeuré seul dans le petit village de la grand-mère, tente de redonner un sens à sa vie et part à la recherche de son frère jumeau et de son passé. "Le fait que l’histoire soit divisée en trois romans, c’est plus important pour la littérature que pour le théâtre, croit Turbiasz. Il me semblait que la deuxième partie du roman était moins théâtrale et conviendrait à une distribution moins nombreuse. On a donc réaménagé le texte pour que le premier spectacle porte exclusivement le monde de l’enfance, et que le deuxième soit le reste. Mais toute l’histoire est là."
Les représentations combinées de The Notebook et The Proof ont franchi le cap de la quarantaine, un nombre qui demeure réduit, car les comédiens sont fort occupés par des projets parallèles. Or dans chacun des pays où le collectif s’est produit – même en Angleterre où Agota Kristof est très peu connue -, les réactions ont été des plus positives. Voilà sans doute qui confirme la troupe dans sa méthode de travail, qui confirme la portée de l’oeuvre de Kristof, ainsi que l’universalité qu’incarne De Onderneming, tant par son répertoire que par ses comédiens, qui sont de diverses origines culturelles. "Il est vrai que ce multiculturalisme apporte une dynamique particulière, admet Torbiasz. On a joué ce spectacle à Budapest, devant Agota Kristof, et les gens étaient très surpris que l’atmosphère des années 1950 en Hongrie soit bien rendue. Évidemment, mon passé polonais n’y est pas pour rien. On a vécu sous le même régime et dans les mêmes circonstances historiques après la Deuxième Guerre mondiale, avec des familles séparées par les frontières. Toute cette expérience aura quand même servi à quelque chose…"
Du 15 au 17 mai
Au Théâtre Périscope
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