Théâtres du Monde : Les visiteurs
Accueillir l’avant-garde du théâtre contemporain, au moment même où elle commet ses frasques ailleurs: voilà le défi que s’est donné le mini-festival Théâtres du Monde.
Accueillir l’avant-garde du théâtre contemporain, au moment même où elle commet ses frasques ailleurs: voilà le défi que s’est donné le mini-festival Théâtres du Monde. Pour l’occasion, deux des plus folles compagnies du Vieux Continent effectuent un passage éclair chez nous: la Societas Raffaello Sanzio, pour présenter l’apocalyptique Genesi, From the Museum of Sleep, de Romeo Castellucci; et la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz, venue faire dérailler le Endstation Amerika de Frank Castorf. Agrippez bien vos accoudoirs: ils accostent avec fracas. Théâtre houleux à l’horizon.
Cinq ans après la présentation d’Orestea (Masque du meilleur spectacle étranger), le dérangeant Romeo Castellucci et sa famiglia (il travaille avec sa femme et sa soeur) sont de retour avec Genesi, une relecture subversive de la Genèse, premier livre de la Bible. "Castellucci est actuellement l’artiste le plus radical du théâtre contemporain", assure Annie Gascon, du FTA. On la croit sur parole. L’homme a déjà embauché des anorexiques, des déficients, des cancéreux, et, partout sur son passage, son hallucinant triptyque laisse pantois. Hermétique, outré, répugnant, insoutenable pour les uns, il apparaît inquiétant, éprouvant, torturant, saisissant ou chargé d’une grande humanité à d’autres. Une expérience limite, dans laquelle des enfants et des handicapés jouent sans prononcer un mot, enveloppés d’une musique dissonante.
Dans l’acte premier, consacré au chaos originel, Marie Curie découvre le radium, tandis qu’un rabbin se livre à un exorcisme en présence d’une vieille femme, amputée d’un sein. Puis, c’est Auschwitz, tableau mettant en scène des enfants jouant avec un train miniature, sur une chanson de Tino Rossi. L’un d’entre eux finira égorgé par ses camarades. Le troisième acte est consacré au meurtre d’Abel par Caïn. "Castellucci restaure miraculeusement le triangle symbolique qui reliait l’homme, l’animal et les dieux, dans les temps anciens", a écrit un journaliste du Figaro, convaincu de la pertinence de cet artiste qui "nous crève les yeux pour nous forcer à voir ce que l’on ne veut pas voir". À constater de visu…
L’autre agent provocateur attendu est Frank Castorf, l’enfant terrible aux commandes de la Volksbühne, cette légendaire compagnie fondée en 1914 à l’intention des travailleurs, au coeur du quartier juif de Berlin, et transformée depuis 10 ans en temple de la provocation où l’on crée des adaptations radicales de textes du répertoire.
Avec Endstation Amerika, le flamboyant Castorf conduit Un tramway nommé Désir dans le cul-de-sac du rêve américain. Dans son adaptation très, très libre du chef-d’oeuvre de Tennessee Williams, Stanley est un immigrant polonais, ex-sympathisant du dictateur Solidarnosc, qui gagne sa vie en faisant de la publicité pour de la gomme à mâcher. Il vit avec Stella dans une maison mobile, où vient se languir une Blanche qui voudrait ressembler à Marilyn Monroe. Sur scène, les couples s’ennuient, cordés dans un lit, en écoutant du rock sous un éclairage cru. Ce show trash et brutal, mené à un rythme infernal, dénonce la désillusion des laissés-pour-compte du capitalisme. La misère occidentale dans toute sa splendeur.
Surtout, ne manquez pas le bateau: ce spectacle coup-de-poing est à l’affiche deux soirs seulement, en allemand avec surtitres français et anglais.
Genesi, From the Museum of Sleep, les 9, 10 et 11 mai au Théâtre Denise-Pelletier
Endstation Amerika, les 13 et 14 mai au Monument-National