Scène

Chekhov Longs… In the Ravine : Jeu de hasards

Fascinés par l’univers de Chekhov, les metteurs en scène ontariens MICHELLE SMITH et DEAN GILMOUR plongent pour la troisième fois dans l’univers du maestro russe, tentant d’élucider la nature d’une oeuvre à la fois accessible et déconcertante.

Après avoir monté La Cerisaie il y a quelques années, Michelle Smith et Dean Gilmour s’étaient trouvés déconcertés par l’immense part d’inéluctable que contient le chant du cygne chekhovien, et avaient conservé de leurs représentations un souvenir d’inachevé, comme s’ils n’étaient pas allés au bout de la pléiade de propositions que recèle la pièce. Pourtant, l’intérêt pour l’auteur russe n’avait pas pâli. "Nous avons tenté d’aborder son univers plus simplement, avec une certaine humilité, raconte Michelle Smith en entrevue. C’est, un peu étrangement, les nouvelles de Chekhov qui nous ont permis de saisir la profondeur de l’oeuvre." C’est ainsi qu’aux côtés de son alter ego Dean Gilmour, la metteure en scène s’attaqua à quelques bribes de prose qui allaient devenir Chekhov Shorts…, une adaptation libre et audacieuse ayant conquis les publics américain, européen et asiatique.

Élaguer les conventions
Charmée par l’expérience mais loin d’en être repue, la troupe dirigée par Gilmour et Smith remet ça, nous offrant cette fois une adaptation de la nouvelle Dans la combe, plus sombre et plus énigmatique que les autres, au dire de Smith. Un défi stimulant pour des créateurs qui tentent de faire jaillir le côté ludique et la légèreté sis dans chaque oeuvre abordée. La mise en scène de cette nouvelle s’est faite plus laborieusement que celle des Shorts… "Comme c’est une histoire longue et complexe, nous avons dû retrancher des passages, occulter la présence de plusieurs personnages (qui se retrouvent par centaines) afin de rendre la représentation accessible, et de ne pas perdre l’intérêt du public."

Un geste essentiel, qui visait aussi à maintenir une certaine cohérence avec la démarche artistique développée par les deux créateurs au fil des ans. "Nous nous sommes fait connaître comme une troupe qui emploie l’élément comique et le jeu dans son sens littéral comme matériaux privilégiés; le public a donc été un peu déconcerté en voyant que nous adaptions une nouvelle très sombre. Le but était dès lors de mettre à profit notre style et notre fraîcheur afin d’éviter la lourdeur et de maintenir une certaine légèreté, qui est l’un de nos partis pris." Un pari qu’ils gagnent visiblement dans Chekhov Longs… In the Ravine, qu’un critique torontois décrivait récemment comme "une adaptation simple mais expérimentée, désormais reconnaissable comme une marque de commerce de la compagnie."

Le charme de l’accident
Ce style qu’on dit singulier, les fondateurs du Theatre Smith-Gilmour l’ont élaboré à partir des enseignements reçus par le maître-comédien Lecoq à Paris; une technique de scène basée sur le côté spontané de l’être humain et le caractère accidentel de sa présence au monde. "Le créateur, s’il sait mettre à profit la matière brute contenue dans chaque comédien, arrive certainement à faire un théâtre moins intellectuel qu’organique", commente Smith. Sans exclure un travail sur les mots et une certaine quête de sens – inhérente à l’oeuvre littéraire de Chekhov -, les deux metteurs en scène s’acharnent donc à rendre la fragilité qui font de l’homme un être aussi mystérieux qu’absurde et imprévisible. Une entreprise périlleuse qui implique une prédilection pour l’improvisation et pour toute forme de surgissement fortuit. "Contrairement à la plupart des metteurs en scène, nous ne partons pas du texte pour bâtir la pièce, mais des images que ce texte nous inspire", commente Michelle Smith avec enthousiasme.

Une méthode d’adaptation pour le moins inusitée? "En effet! de s’exclamer la metteure en scène. Nous n’amorçons pas le travail avec un script; nous commençons sur nos pieds dans la salle de répétition. Nous lisons l’histoire des centaines de fois, chacun dans son coin puis tous ensemble." Mais comment aboutir à un résultat qui soit fidèle à l’oeuvre de Chekhov? "La période de répétition dure souvent très longtemps, ce qui nous permet d’élaborer lentement des scènes, nous abreuvant tant au génie créateur de l’auteur qu’à l’imaginaire de chacun des comédiens", explique Smith.

À l’heure où on nous donne à voir des versions classiques comme des adaptations loufoques et éclatées du théâtre de Chekhov, une troupe canadienne tente de jeter un faisceau lumineux sur la prose qu’a laissée en héritage l’un des auteurs russes les plus prolifiques. Et contrairement à Stanislavski (metteur en scène initial des pièces de Chekhov) ainsi qu’aux nombreux metteurs en scène qui se réclament toujours du grand maître, Michelle Smith et Dean Gilmour y voient une grande ouverture sur le comique et l’absurde, tentant de révéler au grand jour l’un des visages encore ombragé de l’artiste.

Du 21 au 23 mai

Au Palais Montcalm
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