For the Pleasure of Seeing Her Again : Chronique de San Francisco
Quatre ans après sa création au Rideau Vert, Encore une fois, si vous permettez a été présentée dimanche dernier devant le gratin théâtral de San Francisco (dont Armisted Maupin) et en présence de l’auteur montréalais, visiblement comblé.
Michel Tremblay
ne laissera probablement pas son coeur à San Francisco; par contre, il va toucher celui de milliers de Californiens. Après Washington DC, l’auteur risque de conquérir la Côte-Ouest américaine, si l’on en juge par l’accueil que le public lui a réservé le soir de la première de For the Pleasure of Seeing Her Again au Geary Theater, une magnifique salle de 1200 places dans le quartier Union Square.
C’était dimanche soir, la journée de la fête des Mères. Ça tombait pile, puisque cette pièce autobiographique raconte justement la relation d’un fils avec sa mère. Tremblay s’est inspiré de ses récits, dont Un ange cornu avec des ailes de tôle, pour écrire cette comédie dans laquelle il offre à sa mère, décédée en 1963, le plus beau des cadeaux: l’amour inconditionnel d’un fils.
Créée au Rideau Vert en 1998, avec Rita Lafontaine et André Brassard, la pièce a été présentée la même année au Centaur en anglais. La production du réputé American Conservatory Theater (ACT) de San Francisco est mise en scène par Carey Perloff, directrice artistique de cette troupe de répertoire équivalant au Théâtre du Nouveau Monde. Elle met en vedette Olympia Dukakis (Moonstruck, Tales of the City) et Marco Barricelli, un des cinq acteurs permanents de l’ACT.
For the Pleasure of Seeing Her Again fait partie de la saison du 35e anniversaire de cette compagnie fondée par William Ball. Lundi, soir de relâche, des acteurs locaux ont lu des extraits des pièces les plus marquantes de Tremblay, et ce dernier a répondu aux questions du public après la lecture.
Outre Tremblay, la saison affichait des pièces de Sam Shepard, Tennessee Williams, Noel Coward et Harold Pinter. Pas n’importe qui. Carey Perloff a monté des classiques tels qu’Antigone, Hécube et La Tempête. Elle confiait à Voir qu’elle pensait, au début des répétitions, que cette mise en scène serait facile (il y a seulement deux personnages, un lieu, peu de déplacements et de décor). "Or, au contraire, c’est la pièce que j’ai trouvée la plus difficile à faire", affirma-t-elle avec un sourire de soulagement, en constatant l’accueil du public (les critiques des journaux paraîtront plus tard cette semaine).
Coeur de maman
Une mère et son fils, thème universel s’il en est. Une mère et un fils homosexuel, cela aussi est un lien unique et très cher (les mères sont souvent les premières personnes, et parfois les seules, dans la famille à qui les jeunes gais dévoilent leur orientation). Dans une ville reconnue pour son importante communauté gaie, cet aspect de la pièce a sûrement marqué le public.
Encore une fois, si vous permettez saisit cinq moments dans la vie de Nana et de son fils, sur une période de 10 années. Enfant, adolescent et jeune adulte, ce dernier fait l’apprentissage du monde à travers les monologues ahurissants d’une mère dotée d’un sens de la répartie et de l’exagération assez exceptionnel. Le fils est défendu avec brio par Marco Barricelli, un comédien de haut calibre qui, seulement avec ses poses, illustre les différents âges de son personnage sans jouer à l’enfant. Quant à Olympia Dukakis, qui à 71 ans était dans une forme électrisante le soir de la première, elle est drôle, émouvante et toujours vraie.
Assis dans la cuisine ou dans le salon de l’appartement familial, Nana et son fils transforment la banalité du quotidien pour le rendre romanesque. C’est un hommage à une mère mais aussi à une femme qui a compris que son enfant était différent des autres, et qui l’a donc protégé davantage. À la fin, se sachant malade et proche de la mort, Nana s’ouvre le coeur: "Je t’ai trop laissé rêver. J’ai peur que tu sois malheureux, que tu rates ta vie… – Y’é pas question que je rate ma vie, maman", répond le fils qui n’a qu’un seul regret: que sa mère soit partie cinq ans avant qu’il ne devienne un écrivain populaire…
Après la représentation de dimanche, Michel Tremblay confiait que ce qui le touche le plus, lorsqu’il assiste à une production étrangère d’une de ses pièces, c’est que partout, les gens rient et pleurent aux mêmes endroits. Effectivement (et l’excellente traduction anglaise de Linda Gaboriau doit aider sans doute), les répliques comiques et les merveilleux dialogues de Tremblay font mouche avec le public américain comme ils le font avec les Québécois.
Certes, Olympia Dukakis prononce mal le nom d’Huguette Oligny; la langue colorée du barde de la rue Fabre est plus uniforme; et personne ne s’étonne dans la salle en voyant, au tableau final, une toile avec de hautes et vertes montagnes pour illustrer… les plaines de la Saskatchewan! Car l’essentiel – la vérité, les sentiments, l’humour – demeure intact.
Un auteur devient universel en ne cherchant pas à l’être, aime à répéter l’auteur des Chroniques du Plateau Mont-Royal. "Le plus beau cadeau que l’on puisse faire à un dramaturge, c’est de lui montrer le plus de productions différentes de ses pièces de son vivant. Je me sens privilégié d’avoir cette chance." Et le public aussi.