Théâtres du Monde : Le théâtre de la cruauté
Scène

Théâtres du Monde : Le théâtre de la cruauté

À mi-parcours, au moment d’écrire ces lignes, la quatrième édition de Théâtres du Monde battait son plein avec des spectacles marqués au coin de… l’horreur. Celle de la guerre d’abord, avec Le Grand Cahier, qui ouvrait la manifestation offerte par le Festival de théâtre des Amériques.

À mi-parcours, au moment d’écrire ces lignes, la quatrième édition de Théâtres du Monde battait son plein avec des spectacles marqués au coin de… l’horreur. Celle de la guerre d’abord, avec Le Grand Cahier, qui ouvrait la manifestation offerte par le Festival de théâtre des Amériques.

Dans cette adaptation de la célèbre fable intemporelle d’Agota Kristof, l’horreur est révélée en négatif à travers le regard amoral de deux jeunes jumeaux qui s’imposent des exercices d’endurcissement pour s’habituer aux abus, privations et atrocités de leur époque. Jusqu’à l’insensibilisation totale.

Fidèle au texte et à son ton de tragicomédie noire, le collectif flamand De Onderneming – qui présente aussi la suite, The Proof – reconduit sa sobriété horrifique. La production a le mérite de respecter largement le caractère narratif de l’oeuvre, racontée par la voix neutre des jumeaux (imperturbables Robby Cleiren et Günther Lesage), qui ont décidé de s’en tenir à "la description fidèle des faits", comme un rempart contre les émotions.

Grâce à une mise en scène souple et simple permettant une rapide permutation de rôles, il suffit de deux créateurs-interprètes (Carly Wijs et l’acteur Ryszard Turbiasz, en truculente grand-mère!) pour incarner tous les autres personnages. On mise beaucoup sur l’évocation théâtrale dans ce grand jeu grave, drôle et terrible.

Si le spectacle de la troupe flamande était formellement sobre, il en allait autrement de Genesi, From the Museum of Sleep. On n’y avait pas affaire à un travail d’acteurs, mais à une vision impressionnante de metteur en scène, le controversé Italien Romeo Castellucci.

Création et destruction sont intimement liées dans cet ambitieux spectacle de la Socìetas Raffaello Sanzio, qui s’inspire de la Genèse et place l’Holocauste en son centre, illustrant par des raccourcis saisissants, en trois scènes fondamentales, la tragédie humaine. Spectacle impossible à raconter, quasi muet, composé plutôt de cris inarticulés, d’effets sonores discordants, d’images-chocs et de sensations, découpé en trois cauchemars aux couleurs différentes.

D’abord, un acte de création enténébré évoquant davantage Frankenstein que La Bible – où interviennent Marie Curie et sa découverte du radium, détournée par Lucifer. Avec ses pauvres créatures humaines nues, déformées, souffrantes, ses sons agressants, ce tableau comportait des moments réellement terrifiants.

On passe de l’autre côté du miroir – les allusions à Alice au pays des merveilles y sont marquées – avec Auschwitz, étrange tableau où Castellucci s’emploie à "masquer l’horreur avec la douceur de l’agneau", à évoquer l’insoutenable rupture de l’innocence par des jeux d’enfants dans une atmosphère ouatée. Le troisième acte met plutôt en scène le meurtre primitif: celui d’Abel par Caïn.

Fondant paradoxalement beauté et horreur (avec un travail d’éclairage assez remarquable), mariage d’organique et de mécanique, convoquant des animaux vivants sur scène et une pléthore de symboles, Genesi est une aventure picturale déversant un trop-plein de références parfois obscures, où l’effet et l’image priment sur la compréhension.

Mais chose certaine, la troupe italienne nous conviait à une expérience extrême et puissante, qui était tout sauf banale. Le grand mérite d’un événement comme Théâtres du Monde est de tenir les Montréalais au parfum de ce qui se trame sur les scènes étrangères. Et le travail audacieux de Castellucci n’a pas d’équivalent ici.

Rappelons que ce mini-festival se clôture avec la création de Cul-de-sac, de la compagnie DA DA KAMERA, spectacle présenté à l’Usine C jusqu’à samedi.
Jusqu’au 18 mai
À l’Usine C