Les Fleuves profonds : Eau trouble
Soyez prévenu: lorsque des créateurs remplissent de roches les allées d’une salle et font jouer des acteurs dans un pied d’eau sur scène, c’est parce que vous allez assister à un spectacle songé.
Soyez prévenu: lorsque des créateurs remplissent de roches les allées d’une salle et font jouer des acteurs dans un pied d’eau sur scène, c’est parce que vous allez assister à un spectacle songé.
Expérience scénique déroutante, loin d’une pièce traditionnelle, Les Fleuves profonds, d’après le roman éponyme de José Maria Arguedas, à l’affiche du Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 8 juin, s’adresse à un public amateur de recherche et d’expérimentation théâtrales. Ce "voyage vers l’infini" de la poésie que nous propose le chorégraphe d’origine vénézuélienne José Navas (qui signe ici, à l’invitation du directeur du Quat’Sous, Wajdi Mouawad, sa première mise en scène) reste une aventure assez hermétique. Car l’accumulation de symboles, les divers éléments et effets scéniques et le jeu appuyé finissent par nous distraire du récit, déjà très dense, de cet auteur péruvien.
Pour ma part, j’ai trouvé ce spectacle de 65 minutes fascinant par moments; et tout simplement détestable à d’autres moments. Fascinant, parce que ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir des acteurs (particulièrement de la trempe de la grande Andrée Lachapelle) se lancer sans filet dans un projet artistique assez casse-cou; mais irritant, parce que ce genre de théâtre se mord la queue tellement il se nourrit de ses propres prétentions.
En fait, Les Fleuves profonds est d’abord et avant tout un show de concepteurs. Le metteur en scène leur a laissé beaucoup de place et de liberté. Mentionnons donc les magnifiques éclairages de Michel Beaulieu reflétant l’onde de l’eau à l’arrière-scène. L’environnement sonore de Michel F. Côté accompagnant la gestuelle lente et symbolique des interprètes comme dans les pièces de Théâtre Nô. La voûte de tôle du décor organique de Guillaume Lord illustrant la dure réalité de l’Amérique latine. Les beaux costumes de Liz Vandal, ainsi que les maquillages et coiffures d’Angelo Barsetti.
Les comédiens s’investissent avec tout leur talent. Andrée Lachapelle, dans le rôle de la Pope, est surprenante lorsqu’elle apparaît avec sa vieille robe à crinoline, sa grande perruque cendrée, et son visage fardé! Défendu par une Isabelle Leblanc froide et androgyne, le long monologue d’Esrnesto, à la fin, ne déclenche pas la charge émotive attendue. Renaud Paradis donne une prestation très physique, quoique un peu maniérée, de deux personnages secondaires.
Malgré son admiration pour l’oeuvre allégorique d’Arguedas, José Navas enrobe beaucoup trop ses mots, les rendant inaccessibles aux néophytes. Cette histoire de folie, de rêve et de passage de la vie à la mort m’a laissé indifférent. J’ai beau avoir lu les nombreux textes dans le programme, le récit m’a semblé aussi lourd et fastidieux qu’un exposé d’un cours de Climatologie synoptique et appliquée!
Bref, je n’ai rien compris. Et je suis un spectateur trop exigeant pour aimer me sentir imbécile à la sortie d’un spectacle.
Jusqu’au 8 juin
Au Théâtre de Quat’Sous