Vacuum : L’être et le néant
Le "Projet Interprète" de Danse-Cité consiste à offrir à un danseur ou à une danseuse la possibilité de créer son propre spectacle, en faisant appel au chorégraphe, au concepteur et aux autres interprètes de son choix. Cette fois, c’est au tour de Carole Courtois de faire le grand saut.
Avec Vacuum, Carole Courtois a choisi de traiter du corps humain, mais plus précisément, comme elle a pu l’expliquer en entrevue avant la création, de dénoncer les transformations qu’on lui fait subir, qu’on lui impose, dans une incessante quête de l’éternelle jeunesse et de la beauté parfaite.
Le spectacle commence dans l’étrangeté puisque le public pénètre dans la salle où déjà trois corps exposent leur fragilité. Soutenus, suspendus, comme oubliés là après un accident (très Cronenberg comme image), les trois interprètes nous attendent, animés de quelques soubresauts. Insectes bizarres. Nous déambulons de l’un à l’autre, comme nous nous promènerons avec surprise, tout au long du spectacle, de tableau en tableau, tantôt frénétique, tantôt burlesque, parfois inquiétant. Il y a cet homme qui traverse la salle comme un somnambule, lourdement chaussé d’énormes cothurnes; la poupée mécanique qui se fâche; cet homme qui se bat, impuissant, contre un mur; un couple qui s’étreint dans une salle d’eau; le client de bar désabusé, absent; la chanteuse hystérique qui, pathétiquement, s’époumone, en lip-sync, sur sa jeunesse envolée; ou encore cette lutteuse qui pose dans un cadre… littéralement.
Chorégraphié et mis en scène par Johanne Madore, Vacuum, bien reçu du public, tient de la danse-théâtre, voire du cabaret. Si les intentions de Carole Courtois ne sont pas toujours clairement soulignées, il se dégage de l’ensemble une urgence évidente, celle de la douleur du corps. Le corps fatigué, usé, retenu, bâillonné, qui grimace, craque, hurle. Pour exprimer toute cette souffrance (jusqu’à la décadence), trois interprètes d’une rare fougue. Carole Courtois, tout d’abord, magnifique de muscles, de grâce, et capable d’autant de cynisme que d’espièglerie; Peter James et Lucas Jolly, athlétiques, puissants et souvent carrément drôles. Leur performance est vigoureuse.
Faire déambuler le public n’est pas nouveau, mais le procédé est ici finement exploité. Peu de temps morts, rythme soutenu, étonnement constant. La façon dont on a su utiliser chaque pouce carré de la salle choisie (la Sala Rossa du Centre social espagnol) est aussi un élément de réussite du spectacle; à la petite scène, au bar, au sol nu, aux murs, on ajoute, au fur et à mesure (et presque par magie), des passerelles où l’action se déroule. Elle est partout, jamais où on l’attend… À souligner enfin, l’apport essentiel et remarquable de l’environnement musical conçu par Éric Forget. Dans cette suite de tableaux aux couleurs, aux tons et aux atmosphères variables, l’habillement sonore frappe, enveloppe, déconcerte, inquiète ou amuse de très pertinente manière.
Jusqu’au 25 mai
À la Sala Rossa