Zulu Time : Avant et après le 11 septembre
11 septembre 2001. Toute l’équipe de Zulu Time est à New York. Robert Lepage doit arriver le lendemain mais son voyage, comme toutes les représentations de Zulu Time, est annulé pour les raisons que l’on connaît. Toutefois, quelque chose d’étrange s’est produit, avant le drame: une coïncidence troublante. "En préparant le show pour New York, avant le 11 septembre, nous avons ajouté un filon important à l’histoire: celui d’un terroriste pakistanais entraîné par les talibans…
Zulu Time: avant et après le 11 septembre
11 septembre 2001. Toute l’équipe de Zulu Time est à New York. Robert Lepage doit arriver le lendemain mais son voyage, comme toutes les représentations de Zulu Time, est annulé pour les raisons que l’on connaît. Toutefois, quelque chose d’étrange s’est produit, avant le drame: une coïncidence troublante. "En préparant le show pour New York, avant le 11 septembre, nous avons ajouté un filon important à l’histoire: celui d’un terroriste pakistanais entraîné par les talibans… C’est épeurant tout ça. Les artistes, on est un peu comme des antennes. Mais on ne sait pas du tout comment le poste de radio fonctionne. Beaucoup de gens vont penser qu’on a fait le show en s’inspirant des événements, mais Zulu Time était comme ça bien avant…"
Lors de la vidéo-conférence qui a mis en contact, près d’une heure durant, Lepage et son comparse Peter Gabriel avec les journalistes montréalais (un moment high-tech qui a dû ravir le metteur en scène), les attentats du 11 septembre sont revenus sur le tapis: l’artiste est-il un visionnaire, voire un prophète? Se sent-il une quelconque responsabilité de commenter, voire un devoir de mémoire? Lepage, modeste, a réitéré sa tirade sur les antennes, ajoutant qu’il n’avait jamais tenu à faire une pièce à message. "Dans la plupart des projets de création collective, le message est assez abstrait au départ. Il faut laisser le spectacle prendre son sens lui-même. Avec Zulu Time, je m’intéressais plutôt à notre relation avec la technologie et notre rapport au temps et à l’espace. Mais il est clair que certains numéros, dont X-Ray qui porte sur les fouilles, n’ont plus le même sens depuis les récents événements."
Donc, après Québec, Paris et son rendez-vous manqué à New York, cet ambitieux "cabaret technologique" sur l’univers de l’aviation (et surtout celui des aéroports) se posera enfin à l’Usine C. Zulu Time, terme utilisé par les militaires pour marquer l’heure universelle (aussi appelée GMT), est un show vertical, tout en hauteur, aérien, et porté par un regroupement d’artistes (musiciens, vidéastes, acrobates du Cirque du Soleil) explorant l’un des dadas de Lepage et de Gabriel: l’apport des technologies aux arts de la scène.
Le créateur de La Trilogie des dragons et l’ex-Genesis n’en sont pas à leur première collaboration: après un projet de parc thématique technologique à Barcelone et la mise en scène de Lepage pour la tournée Secret World de Gabriel, les deux hommes ont planché quelques semaines sur Zulu Time à la Caserne, le QG d’Ex-Machina à Québec. Lors de la conférence de presse, Lepage s’est plu à rappeler qu’il avait été initié au théâtre non pas par les grands classiques, mais par les performances théâtrales de Genesis. Gabriel lui a retourné le compliment, le qualifiant de visionnaire. "Avec Robert, les idées fusent à une vitesse vertigineuse, mais on se comprend très bien, on est exactement sur la même longueur d’onde. Comme lui, je suis fasciné par la haute technologie mais je la considère comme un simple outil. D’ailleurs, dans le spectacle, il y a aussi du low-tech. L’un de mes numéros préférés se passe dans un restaurant, alors que l’un des acteurs joue sur une table avec un archet de violon."
La contribution de Peter Gabriel à Zulu Time représente deux pièces musicales, dont l’une devrait se retrouver sur son prochain album qui paraîtra plus tard cette année. Il s’agit donc d’un show très musical, qui vibre au rythme de la techno. Pas étonnant de le retrouver présenté dans le cadre du Festival de Jazz. Un show sur la solitude, sur la relativité du temps et de l’espace dans un monde dominé par les technologies et les transports qui, bien qu’ils soient censés nous rapprocher, paradoxalement, nous isolent. Dans sa version montréalaise ("qui représente la troisième mouture, presque définitive", affirme Lepage), Zulu Time débarque avec huit performeurs sur scène, le double de la version présentée à Québec, et presque autant de robots. Un show qui cherche, via la technologie, à explorer la zone grise qui sépare et unit les arts de la scène et le cinéma. Un show typiquement Lepage, quoi.