Parade du temps qui passe : Temps d’essai
C’est la chose la plus relative au monde. Au théâtre même, espace de temps gratuit, délibérément en marge du rythme généralement fou des vies modernes, il est compté, subjectivement soupesé.
C’est la chose la plus relative au monde. Au théâtre même, espace de temps gratuit, délibérément en marge du rythme généralement fou des vies modernes, il est compté, subjectivement soupesé. Pour le spectateur, il semble se traîner misérablement ou défiler en un clin d’oeil, c’est selon, sans égard à la durée réelle de la pièce… Le temps.
Le Nouveau Théâtre expérimental n’a donc pas eu une mauvaise idée de consacrer ainsi sa plus récente création, Parade du temps qui passe, à ce facteur qui détermine tant notre existence. D’autant que le NTE est familier de ces exercices explorant diverses thématiques. Ça a déjà donné le meilleur – qu’on pense aux Mots. Mais hélas, on en est plutôt loin avec cet exercice disparate et généralement peu inspiré.
Puisque les mois ont filé sans que l’Espace libre rénové ne soit prêt… à temps, le spectacle Parade… s’est installé dans le vaste gymnase du Manège des Fusiliers Mont-Royal, rue Henri-Julien. C’est dans ce quasi-hangar que le public, juché sur des gradins, peut assister à ce très inégal "poème dramatique", véritable fourre-tout qui assaisonne son thème à toutes les sauces.
Tantôt, c’est une tentative d’évoquer l’éphémérité du temps par l’image de pâtés de sable qu’on écrase. Tantôt, on convoque, à travers un couple issu de deux générations et de deux pays différents, l’Histoire et les idéaux qui meurent (pas très original…). Ailleurs, on passe un long moment, d’une toute relative drôlerie, avec trois carnavaleux québécois avinés et paumés, en quête erratique de la parade du Bonhomme. Une perte de temps, pour eux comme pour nous…
Il y a des interrogations plus philosophiques, comme cette fort laconique intervention de l’Allemand Heidegger, pour qui seul le recul apporté par le temps permet de penser, d’où l’impossibilité de réfléchir sur les événements trop proches. En général, tout ça reste trop allusif, elliptique ou obscur pour qu’on en retire vraiment quelque chose, les tableaux ne faisant qu’effleurer le thème, sans l’approfondir.
Peu de moments forts émergent de ce défilé hétéroclite. Une danse cocasse, gracieuseté de l’audacieux Ronfard; le jeu de la mémoire à deux vitesses d’anciens amants (dans une mise en scène plutôt amusante); cette étrange "eucharistie des chèques de paie" qui se déroule dans les tavernes montréalaises en 1960; de jolis moments chantés dans ce spectacle sans bande sonore… Des instants, plutôt qu’un tout.
La forme change, d’une scène à l’autre: récitatif, sketch, tableau visuel, dialogue, narration, poème, bouffonnerie moliéresque. Il y a un côté artisanal dans ce spectacle dépouillé, où l’on joue avec de petits objets.
En fait, Parade du temps qui passe est peut-être une illustration des périls de la démocratie en art: si le spectacle a été écrit et dirigé dans ses "grandes lignes" par Alexis Martin et Jean-Pierre Ronfard, toute la troupe (composée de comédiens expérimentés tels que Monique Mercure, Anne-Marie Provencher, Daniel Brière, Miro, mais aussi de non-professionnels) a mis la main à la pâte, selon son bon plaisir. D’où peut-être cette grande hétérogénéité.
Mais puisque le NTE est un théâtre d’essai, et non de résultats, il n’y a pas de perte de temps chez la ludique compagnie. Il n’y a que des expériences exploratoires, plus ou moins fructueuses. C’est cette liberté qui rend le NTE si nécessaire au théâtre montréalais. Dans les bons temps comme dans les moins bons…
Jusqu’au 22 juin
Au Manège des Fusiliers Mont-Royal