Varekai : Figures erratiques
Varekai , "peu importe le lieu" en langue tzigane, est un hymne aux manouches. La nouvelle production du Cirque du Soleil, mise en scène par DOMINIC CHAMPAGNE et présentée aux Galeries de la Capitale du 27 juin au 21 juillet, rend hommage aux gens du cirque et à leur esprit nomade.
Pour mener sur le devant de la scène son projet, Champagne s’est largement inspiré du monde des gitans. "Je ne voulais pas faire un show gitan pour être à la mode, se défend-il, mais je souhaitais mettre le doigt sur la beauté de ces familles itinérantes qui se promènent de villes en villages. Elles y sont plus ou moins bien accueillies – plutôt moins d’ailleurs puisqu’on les trouve installées à la sortie des métropoles ou sur des terrains vagues pleins de détritus -, cependant elles gardent cette force et cette volonté qui leur sont vitales. Ces hommes et ces femmes survivent grâce à leurs talents et c’est dans ce savoir qu’ils puisent toute leur beauté." L’esprit bohémien hante le spectacle. Pourtant, seul le nom de la production est resté purement romanichel. Une volonté. "Nous voulions surtout un symbole pour montrer que ce peuple survit grâce à la fraternité", insiste le metteur en scène.
La renaissance
Attiré par le cirque depuis toujours – il s’est enrôlé dans un cirque grec à l’âge de 20 ans -, Dominic Champagne s’est plongé dans les racines de cet univers flamboyant. "Un cirque est un lieu où la fraternité est possible et où le choc des cultures est extrêmement créateur. L’environnement multiethnique du Cirque du Soleil a inspiré mon univers créatif", évoque t-il. L’imagination du créateur a choisi de se nourrir de la pire crainte des artistes de la balle: le vide. Sujet tabou s’il en est, la chute est la hantise des acrobates qui se jettent dans le néant pour exécuter 1000 numéros périlleux au-dessus de la piste.
Varekai, c’est cet apollon parachuté au coeur d’une forêt dorée et magique située aux abords d’un volcan. Perdu dans ce magnifique décor de bambous en titane, cet Icare du XXIe siècle va rencontrer des survivants, des nomades grâce auxquels il sera confronté à mille et une cultures. Cette rencontre entre une famille de rescapés – les enfants de la balle – et un ange tombé du ciel est le noyau du spectacle. La chute, sorte de renaissance, sera positive.
"Varekai est une fête furieuse et flamboyante inspirée de la rencontre fraternelle de ces artistes venus des quatre coins de la terre pour dire la beauté et la joie des dépassements, explique Champagne. Peu importe où le vent les emporte, ils risquent leur vie à défier les lois de la gravité et à bondir au-dessus des volcans, pour dire au monde que quelque chose d’autre est possible."
Le réveil
Pour mettre au point le spectacle, Dominic Champagne et ses acolytes se sont permis de rêver pendant près d’un an. "Nous avions carte blanche de Guy Laliberté. Nous nous sommes donc laissés aller au rêve car nous savions que nous ne nous heurterions à aucune limite." Et c’est vrai qu’il est facile pour l’artiste de rêver en technicolor quand il sait le soutien financier quasi illimité qu’il trouvera derrière lui.
Le réveil a cependant été brutal. "Comme tout le monde, les attentats du 11 septembre nous ont bouleversés. Nous étions en répétition dans les studios du Cirque lorsque nous nous sommes réunis pour regarder ces images à la télévision. Les évènements ont inévitablement joué sur notre imaginaire. Concrètement, lorsqu’on travaille avec un concept de chute et que l’on voit des gens tomber des tours, on ne peut pas rester indifférent. Au départ, nous avions d’ailleurs pensé que la chute serait violente. Finalement, nous avons préféré adoucir la scène", reconnaît Champagne. Ainsi, le jeune héros tombe du ciel en surfant sur un filet suspendu au sommet du chapiteau.
Au-delà des changements techniques apportés au spectacle, ces événements tragiques ont démontré à Dominic Champagne la difficulté qu’ont les hommes à vivre ensemble. "J’ai eu cette réflexion que nous avions la preuve d’un choc culturel et que l’Homme était prêt à commettre le pire pour délivrer son message: "Nous avons beaucoup de mal à vivre ensemble." Russes, Italiens, Québécois… nous étions réunis dans cette salle et nous avions le privilège de pouvoir prouver que d’une rencontre culturelle pouvait naître la beauté et non l’horreur. On rêve tous d’être citoyen du monde et, subitement, je me retrouvais au coeur de cette notion, pour le meilleur ou pour le pire. J’ai choisi le meilleur."
Travailler pour le Cirque du Soleil représentait donc l’occasion unique pour Dominic Champagne de dire chaque soir au monde qu’au coeur de cette forêt survivent une multitude de différences et qu’en les réunissant, on peut atteindre une sorte de nirvana. Une apothéose sublime. "Après les évènements du 11 septembre, délivrer ce message est devenu une responsabilité, un devoir", avoue le metteur en scène.
La tradition
Restait pour lui à choisir comment cette livraison allait arriver à bon port. Le Cirque du Soleil possède une signature particulière et une tradition très forte. Impossible alors pour la nouvelle équipe de déroger à certains préceptes. "Le Cirque du Soleil a, en quelque sorte, réinventé l’art du cirque. Comme c’est impossible de revisiter le cirque toutes les fins de semaine, nous avons pris ce que nous devions et nous avons créé un show qui s’inscrit dans la tradition, avec toute la théâtralité que cela impose. Il reste toutefois cette touche de candeur et d’innocence propre aux novices et donc à des collaborateurs pour lesquels c’était la première fois sous un chapiteau", souligne Champagne. En réunissant des gens qui ne connaissaient pas les arts de la balle, la direction du Cirque a fait un pari sur l’innocence. Pour Dominic, elle ne s’est pas trompée. "Je ne voulais pas surfer sur la vague de Franco Dragone, mais je voulais créer autre chose. En associant des néophytes et en y mettant de la volonté et du temps, je savais que nous obtiendrions quelque chose de différent, de nouveau et de beau. Ce fut un travail d’humilité et d’apprentissage, mais ô combien enrichissant!"
Les nouveaux collaborateurs ont insufflé une touche à la fois excentrique et futuriste, limite trash. Les costumes en sont une illustration parfaite. Eiko Ishioka, conceptrice de ces agencements de tissus – surtout connue dans le milieu cinématographique pour avoir habillé les acteurs de The Cell ou Dracula -, a mis tout son savoir-faire pour créer des vêtements hyper colorés qui soulignent l’impact visuel et émotif des risques que prennent les 50 artistes présents sur la piste.
Pour Champagne, habitué des mises en scène au théâtre, il n’a cependant pas été facile d’exprimer des émotions en l’absence de mots. "Il fallait faire passer une histoire, un message sans dialogues, confie-t-il. J’ai donc créé un monde imaginaire dans lequel j’ai emmené les artistes et dans lequel les spectateurs plongent chaque soir." Le défi que constituait ce mariage entre la notion dramatique et les performances scéniques a été relevé haut la main par la nouvelle équipe. "Ça a en quelque sorte été un jeu d’aller-retour. Sur le plan chorégraphique, j’atteins très vite mes limites, alors il a fallu de la passion et de la patience pour arriver à ce résultat." Il a surtout fallu être bien entouré et l’équipe des concepteurs, dont près de la moitié collaboraient pour la première fois avec le Cirque, a su s’adapter et s’épanouir dans cette nouvelle approche.
"Travailler avec des acrobates permet d’explorer une autre dimension, ajoute le chorégraphe Michael Montanaro. La scène ne se situe plus seulement sur le plancher mais les acteurs peuvent s’exprimer dans l’ensemble de l’espace qui les entoure. On défie les lois de la gravité pour entrer dans la quatrième dimension."
Une expérience d’autant plus enrichissante que les chorégraphes ont souhaité présenter un maximum de nouveaux numéros. "Pour 8 des 13 numéros proposés, nous sommes partis de zéro alors qu’habituellement la majorité des numéros sont invités, précise Montanaro. Dominic nous avait parlé du concept et nous avions champ libre pour faire vivre l’histoire de cette renaissance." Les artistes et les chorégraphes ont donc étroitement collaboré pour explorer les limites des premiers et les amener le plus loin possible.
Le résultat est là. Convaincant. Le travail n’est cependant pas terminé. "Chaque fois que l’on arrive au soir d’une première, on ressent une grande fatigue mais aussi une immense frustration et une déception car on a l’impression de ne pas avoir réussi à porter le rêve jusqu’au bout. Le potentiel dans un spectacle est énorme, reconnaît Champagne. Un show, c’est un peu une créature grouillante de vie dont la première représentation n’est qu’un point de départ vers une évolution. La virtuosité va aller encore plus loin au fil des représentations."
Dominic Champagne et son équipe ont offert une belle plate-forme pour que la magie fonctionne. Il ne reste plus désormais au show qu’à vivre et à donner aux spectateurs de l’inspiration à revendre. Attention cependant, l’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage!
Du 27 juin au 21 juillet
Aux Galeries de la Capitale