L'Homme de la Mancha : Un homme et ses rêves
Scène

L’Homme de la Mancha : Un homme et ses rêves

Mise en scène par René Richard Cyr, L’Homme de la Mancha, d’après l’adaptation de Jacques Brel du musical créé à Broadway dans les années 60, risque d’être le succès théâtral de l’été. Cette production, portée par une solide distribution, rivalise avec les meilleurs spectacles de la saison régulière.

Avec son visage émacié, sa barbe et ses cheveux longs, le Don Quichotte de L’Homme de la Mancha ressemble un peu à Jésus Christ. Dans une scène (voir photo), juste avant la fin de ce spectacle à l’affiche du Centre culturel de Joliette, malade et alité, "le chevalier à la triste figure" porte une grande tunique blanche et un bandeau taché de sang autour de la tête. Il fait alors penser au Seigneur entouré de ses disciples qui se relève pour une dernière fois avant de se faire crucifier.

La métaphore religieuse n’est sans doute pas fortuite dans cette production de Libretto de la comédie musicale Man of La Mancha (créée à New York en 1965, et encore jamais montée au Québec), d’après l’adaptation française de Jacques Brel. Miguel de Cervantès a écrit Don Quichotte au coeur de l’époque terrible et violente de l’Inquisition espagnole. Le personnage imaginé par Cervantès s’apparente à un Sauveur descendu sur Terre pour apporter un peu d’espoir aux mortels dans un monde dominé par l’injustice et la corruption.

Mais la "Quête" de Don Quichotte (pièce de résistance du spectacle, avec la chanson célèbre de Brel interprétée par Jean Maheux) n’est pas uniquement spirituelle ou religieuse. Elle peut se conjuguer sous tous les thèmes: amour, justice, honneur, réalisation de soi, et autres rêves. Un "sage qui est fou ou un fou qui est sage", Don Quichotte incarne ce héros qui refuse d’accepter la réalité, et qui se battra toute sa vie pour changer les choses. Peu importe s’il y parvient ou pas.

Mise en scène par René Richard Cyr, L’Homme de la Mancha n’est pas un musical dans la pure tradition (avec de la danse, des costumes clinquants et d’énormes numéros de production), mais une pièce de théâtre musical. Le livret, assez mince, de Dale Wassernman, repose sur une très bonne idée: Cervantès est incarcéré avec son fidèle Sancho Pança en attendant son procès par le Tribunal de l’Inquisition. Pour amadouer les autres prisonniers qui partagent son cachot, Cervantès décide de raconter le récit de son chevalier à la triste figure. Toutefois, cette bonne idée ne débouche pas sur un univers dramatique très fort, comme ce fut le cas, par exemple, avec Kiss of the Spider Woman, une comédie musicale qui transcendait mieux, à mon avis, l’univers carcéral.

La musique de Mitch Leigh est bien servie par les musiciens sur scène (sous la direction musicale de Benoît Sarrasin). Les chansons sont interprétées par les neuf comédiens aussi talentueux que polyvalents. Dans le rôle de Cervantès et Don Quichotte, Jean Maheux est admirable. De mémoire, c’est la meilleure chose qu’il a faite au théâtre. Fier et vulnérable, charismatique et touchant, il s’avère un comédien en pleine possession de ses moyens et un excellent chanteur. Son interprétation de La Quête, tout en crescendo, est un moment de grâce.

Dans le personnage du valet de Cervantès, Sylvain Scott constitue une révélation. Cet acteur peu connu du grand public a surtout joué dans des pièces pour adolescents avec le Théâtre Le Clou, compagnie qu’il co-dirige depuis 1989. Son Sancho Pança est à la fois dérisoire et attachant. Scott le joue comme un straight man, mettant en valeur le grand Don Quichotte, mais avec finesse et sensibilité. Même dans l’ombre de son maître, son Sancho est très présent et lumineux.

Après sa sublime prestation dans Les Parapluies de Cherbourg, au même endroit l’été dernier, la jeune Évelyne Gélinas prouve encore qu’elle a un bel avenir de comédienne devant elle. Le soir de la première, cependant, sa voix était moins assurée que celles de ses collègues. Mais son tempérament solide et sa forte énergie font oublier ses faiblesses vocales.

René Richard Cyr signe une mise en scène belle, précise et signifiante, qui rappelle ses meilleures lectures du répertoire (L’École des femmes, Le Malentendu… de mémoire). Le travail de conception (les costumes magnifiques de François Saint-Aubin, l’ingénieuse scénographie de Réal Benoît, les beaux éclairages d’Étienne Boucher) contribue aussi à rendre inoubliables certains tableaux de L’Homme de la Mancha. Esthétiquement, il s’agit de la plus belle production de théâtre d’été à laquelle j’ai assisté.

Au Centre culturel de Joliette
Salle Rolland-Brunelle
Du mercredi au vendredi 20 h et samedi 20 h 30
Jusqu’au 17 août