Piège pour un homme seul : Thriller bucolique
Alors que dans la Métropole, le spectateur se fait prendre (ou pas) par La Trappe, à Saint-Marc-sur-Richelieu, on est gentiment mené en bateau par la pièce Piège pour un homme seul…
Même si plusieurs producteurs semblent toujours l’ignorer, le gros rire gras n’est pas la seule réaction qu’on puisse soutirer à l’amateur de théâtre pendant la saison chaude. Se laisser surprendre par un suspense bien ficelé, c’est aussi agréable. Alors que dans la Métropole, le spectateur se fait prendre (ou pas) par La Trappe, à Saint-Marc-sur-Richelieu, on est gentiment mené en bateau par la pièce Piège pour un homme seul…
Présentée au Bateau-Théâtre L’Escale récemment rénové, la comédie policière de feu Robert Thomas (l’auteur français derrière 8 Femmes, le film de François Ozon où figure à peu près tout ce que la France compte de vedettes féminines) orchestre une grosse machination. Jeune marié de passage dans un chalet de North Hatley, Daniel (Jean-François Casabonne) se désole de la persistante disparition de sa chérie, qui s’est évanouie dans la nature après une querelle. C’était il y a 10 jours. Depuis, l’époux éploré harcèle le chef de la police locale (Raymond Bouchard), tout en noyant son chagrin dans le scotch.
Voilà que le nouveau curé du village (Jean-Bernard Hébert) ramène au bercail la brebis égarée et repentante – on est en 1962… Mais coup de théâtre: éberlué, Daniel ne reconnaît pas cette pulpeuse blonde (Marie Charlebois) et prétend avec la dernière énergie que ce n’est pas là son Élisabeth! Serait-ce un machiavélique coup monté, ou le mari imbibé est-il en proie au délire?
En dévoiler davantage serait hypothéquer les surprises et retournements que nous réserve Piège… Achetée à l’époque par le maître du suspense lui-même (Hitchcock est mort avant de la porter à l’écran, dit-on), la pièce tient surtout à la gigantesque toile tissée avec dextérité par l’auteur, et au suspense qui garde le public sur le qui-vive.
La griffe du producteur Jean-Bernard Hébert – qui présentera Les Belles-Soeurs l’an prochain – est souvent gage d’un certain standard de qualité dans le petit monde plutôt médiocre du théâtre estival (en tant que comédien, c’est hélas une autre histoire…), et il a réuni ici une équipe compétente, dont Michel Tremblay à l’amusante adaptation. Le capitaine de l’aventure, Peter Batakliev, mène le thriller à bon port, bien que sa mise en scène aurait pu sécréter une atmosphère plus trouble.
Fébrile, roulant des yeux, faisant de grands gestes, poussant de hauts cris, Jean-François Casabonne nous fait partager avec conviction l’angoisse et la paranoïa de son personnage. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne donne pas dans l’euphémisme dramatique… En policier roublard et tenace, Raymond Bouchard lui donne la réplique avec son autorité et son métier habituels. Un personnage cousu main pour ce comédien qui allie ici la force à la précision comique! Et Marie Charlebois dose habilement innocence ingénue et ironie perverse.
De surcroît, le spectacle met toutes les chances de son côté en offrant des rôles plus secondaires à deux icônes du public: Donald Pilon prête une truculence de circonstance à son amusant personnage; et l’incroyable Janine Sutto, savoureusement cynique, mène le jeu avec une imbattable assurance.
Bref, sans être une grande oeuvre, voilà une façon divertissante d’aller se rafraîchir les idées dans un décor bucolique, à quelques minutes de Montréal.
Jusqu’au 31 août
Au Bateau-Théâtre L’Escale
À Saint-Marc-sur-Richelieu