Des roches dans ses poches : Hollywood en Québec
Satire de l’impérialisme hollywoodien, Des roches dans ses poches charrie aussi, paradoxalement, une de ces histoires comme Tinseltown les aime.
Satire de l’impérialisme hollywoodien, Des roches dans ses poches charrie aussi, paradoxalement, une de ces histoires comme Tinseltown les aime. Une histoire lestée de personnages typés et chargée d’un beau message inspirant, où les valeurs humaines pourraient triompher dans le happy end de rigueur. Mais la comédie dramatique de l’Irlandaise Marie Jones est d’abord un essoufflant "two men show", qui a la qualité bien théâtrale de reposer essentiellement sur la performance de deux comédiens, appelés à interpréter 15 personnages.
Créée à Belfast, et repêchée par le Théâtre Juste pour rire, la pièce Des roches dans ses poches montre comment une équipe américaine venue tourner un film d’époque – lequel semble, bien entendu, complètement idiot – dans un joli petit village gaspésien y fera autant de ravages qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. L’histoire est vue par la lorgnette de deux figurants, qui sont un peu les intouchables de ce milieu hyper-hiérarchisé: les Gaspésiens Paul (Emmanuel Bilodeau) et Robert (Bernard Fortin), dont l’avenir semble bouché.
Le Canada étant le nouvel Eldorado des tournages hollywoodiens (because bons techniciens et cheap dollar), l’action est transportée de la Verte Île en Gaspésie, autre région éloignée et pauvre, sans qu’on y perde en crédibilité. René-Daniel Dubois s’en est donné à coeur joie, avec une adaptation efficace, très punchée et parfois au ras des pâquerettes – au début, nos héros ont un peu l’air de deux Ti-Counes… Dans une pique à un autre impérialisme culturel, on a même droit à la vedette française ("Emmanuelle Binoche") qui tente en vain de prendre l’accent "indigène"…
Car Des roches… est l’histoire d’une "dépossession" culturelle. (Ironique mise en abyme: c’est le récit même du film que tourne l’équipe, sans se rendre compte qu’elle endosse à son tour le rôle de l’expropriateur fortuné!) La pièce prend au piège les écueils du rêve américain – et tous les démunis qu’il laisse en rade sur le bord du chemin. Comme en témoigne le petit vidéoclub de Robert, avalé par un méchant Blockbuster, Hollywood piétine tout sur son passage, particularités culturelles et sensibilités individuelles comprises.
Changement de couleur après l’entracte – qui casse malheureusement un peu le rythme -, alors que la pièce légère s’assombrit, que les personnages deviennent plus attachants, et que le "message" se fait plus manifeste. Un peu trop, sans doute. On y dénonce la superficialité du mirage hollywoodien, l’artifice de sa faune. Rien de vraiment nouveau sous le soleil, quoi… Dans le genre "petite ville chamboulée par l’envahissement de l’égocentrique tribu hollywoodienne", David Mamet était passé par là, avec plus d’ironie mordante, dans son film State and Main.
La pièce demeure malgré tout une expérience divertissante. Surtout grâce à la façon théâtrale dont cette histoire est racontée, qui permet de la souplesse dans le récit. La mise en scène dénudée et légère d’Yves Desgagnés joue sur les clins d’oeil, tout en faisant des emprunts au septième art (projections signées Jérôme Labrecque).
Emmanuel Bilodeau et Bernard Fortin dégagent la naïveté voulue pour camper le duo de figurants. Et possèdent la dextérité nécessaire pour incarner tous les autres! Le vieillard de Bilodeau, "dernier figurant survivant de Moby Dick", et la star maniérée de Fortin sont particulièrement savoureux.
Les transformations se font aisément: ils se retournent, et hop! un nouveau personnage. Le jeu a ici quelque chose d’athlétique. Les deux acteurs ont manifestement mérité leurs médailles.
Jusqu’au 17 juillet
Au Théâtre St-Denis II