Irma la douce : Le feu d'artifice Filiatrault
Scène

Irma la douce : Le feu d’artifice Filiatrault

Malgré une histoire sens dessus dessous et un festival du cliché: Irma la douce, vue par Denise Filiatrault, est un bon divertissement. Mais terriblement ancien.

Depuis 1990, Denise Filiatrault signe systématiquement "la pièce de l’été" pour le Théâtre Juste pour rire. À chaque fois, je me pose une curieuse question: qu’est-ce qui motive les choix de la populaire metteure en scène? Pourquoi préfère-t-elle une oeuvre du répertoire à une autre? Hélas, 12 ans plus tard, je n’ai pas de réponse.

Qu’il s’agisse de Molière ou de Pagnol, de Feydeau ou de Steve Martin, madame Filiatrault n’a qu’une idée en tête: divertir son public. Point à la ligne. Bien sûr, son mandat, à Juste pour rire, lui demande exactement ça. Elle n’est pas là pour faire réfléchir les gens. Ni pour les émouvoir. N’empêche, lorsqu’on a la chance de pouvoir s’adresser à plus de 30 000 personnes, année après année, on peut essayer de renouveler son art.

Cet été, avec Irma la douce, Denise Filiatrault a opté pour une comédie musicale, un genre qui, bien que traditionnel, aurait pu lui permettre davantage d’audace formelle ou de risques artistiques. Le musical peut se renouveler: Julie Taymor, avec The Lion King, l’a prouvé sur Broadway en 1998.

Au contraire, avec son dernier ouvrage à l’affiche du Théâtre du Nouveau Monde, la metteure en scène propose un traitement à l’ancienne, sans innovation ni raffinement. Du bon showbiz – un genre que Filiatrault maîtrise bien, qu’elle connaît par coeur, et qui plaît au grand public -, mais qui demeure une recette. Une très vieille recette.

À la défense de madame Filiatrault, il faut spécifier que cette comédie musicale d’Alexandre Breffort et Marguerite Monnot a drôlement pris des rides depuis sa création, en 1955. C’est une gentille et mièvre pochade, avec des situations invraisemblables, une histoire de jalousie complètement ringarde, une intrigue de série Z, et une musique jolie mais sans invention: le refrain revient sans cesse pendant la moitié du show. De plus, le soir de la première, des problèmes de son avec les micros sans fil des acteurs ont perturbé certains numéros.

Histoire de fou
Irma, la prostituée la plus en demande de Paris, tombe amoureuse d’un homme, Nestor, extrêmement jaloux. Pour se calmer, Nestor décide de se faire passer pour un client, Oscar, qui demande à Irma l’exclusivité. Chaque jour, Irma se donnera uniquement à Oscar, avant de retourner voir son Nestor, sans se rendre compte qu’il s’agit du même homme (car "elle n’est pas physionomiste", la pauvre!). Mais Nestor deviendra jaloux de son double, au point de l’éliminer, puis de se faire accuser de meurtre, d’aller en prison, de s’évader, pour finalement reconquérir Irma (après un périple dans la brousse!) le jour où elle lui offrira le fruit de leur amour.

Voilà, en gros, le livret d’Irma la douce. Une histoire cucul la praline, du matériel dramatique aussi mince que Kate Moss! À mon avis, on doit donc la parodier, la moderniser, ou l’éclater cette histoire. Eh non! Filiatrault juge qu’Irma la douce "est inadaptable". Mais elle n’en fait pas une pièce nostalgique: elle la présente plutôt comme un cliché suranné de carte postale: le Paris des guinguettes, des baguettes et autres musettes.

Heureusement, Denise Filiatrault a bien dirigé ses 10 interprètes. En général, ils offrent une bonne performance. En tête, Serge Postigo, dans le rôle de Nestor/Oscar, prouve à nouveau qu’il est un comédien agile, sensible et polyvalent. De Claude Gauvreau à Ladies Night, Postigo peut toucher à tout et bien tirer son épingle du jeu. À mon avis, au théâtre, Serge Postigo est l’un des meilleurs comédiens de sa génération. Et il se bonifie avec le temps.

Karine Vanasse avait beaucoup de poids sur ses épaules. Pour son baptême théâtral, la comédienne s’approprie bien l’espace scénique. Elle a de la présence, du charisme. Elle bouge bien. Malheureusement, elle est trop candide, voire angélique, pour incarner cette femme qui fait la pluie et le beau temps sur Pigalle. Bien qu’elle soit jeune, Irma a beaucoup de vécu. Ce qui ne semble pas le cas de Karine Vanasse. Et cela se sent, surtout quand elle interprète les chansons tristes et réalistes de Marguerite Monnot.

Parmi les rôles secondaires, Martin Larocque est très juste et convaincant en tenancier du Bar des inquiets. Joël Legendre défend deux rôles, dont un prisonnier homosexuel complètement hilarant, une folle stéréotypée qui fait penser à un croisement entre Guilda et Arletty!

Au bout du compte, Irma la douce reste une sérieuse entreprise comique qui nous en met plein la vue: des costumes très kitsch conçus par François Barbeau (décidément, ce costumier ne pèche pas par excès de subtilité); un décor immense, mobile et ingénieux (une réalisation du talentueux Raymond-Marius Boucher); des chorégraphies signées Chantal Dauphinais; un musicien sur scène (l’accordéoniste Vladimir Sidorov); et un vrai feu d’artifice qui éclate au milieu du spectacle!

En regardant ce feu d’artifice, j’ai fait un parallèle avec le travail de Denise Filiatrault: un beau spectacle, divertissant, populaire et coloré. Mais dont on se lasse rapidement.

Jusqu’au 3 août
Au Théâtre du Nouveau Monde