

Olivier Choinière : Temps fou
Avec sa pièce Jocelyne est en dépression, OLIVIER CHOINIÈRE transpose à la scène notre absurde relation à la météo. Un étrange sujet. qui alimente toutes les conversations.
Marie Labrecque
Déjà terminé, notre si bref été? Sur la terrasse du Théâtre d’Aujourd’hui, en tout cas, où le troisième spectacle de la compagnie ARGGL!, Jocelyne est en dépression, une "tragédie météorologique", installera tout le mois d’août un climat hivernal. Après la série B, place au "théâtre d’été urbain de série H"…
Les appellations fantasques des pochades d’Olivier Choinière (Tsé-tsé, tragédie ubiquiste et Agromorphobia, mélodrame végétarien) cachent généralement une réflexion sérieuse. Pour le jeune auteur et metteur en scène, notre obsession nationale des prévisions météorologiques et notre détestation de la glaciale saison s’avèrent ainsi les symptômes d’un mal plus profond. La "pointe de l’iceberg".
"Chaque hiver, je nous écoute chialer énormément contre la température. À tel point que ça en devient parfois presque une tragédie collective. Comment se fait-il qu’on se soit désadaptés à ce point d’un climat auquel on s’était pourtant habitués pendant une certaine période de l’histoire? Avec la sédentarisation et le progrès technique, plus on s’est dotés de structures de protection – climatisation, chauffage -, plus on est devenus victimes, je pense, du climat. C’est devenu notre ennemi commun no 1. Pourquoi s’acharner sur quelque chose qu’on ne pourra pas changer? Moi je soupçonne que dans le fond, on aurait envie d’être ailleurs."
En plaçant l’hiver dans un véritable contexte tragique – "au sens grec du terme" -, Olivier Choinière a découvert que la tragédie est justement là: dans "notre incapacité de se fixer dans un temps présent". "La véritable tragédie, c’est d’être condamné à une espèce d’errance continue. On est toujours soit dans la nostalgie d’un moment, de l’été dernier, soit dans la projection, dans l’appréhension de ce qui peut nous arriver. C’est ça la météo: notre besoin de savoir ce qui va se passer demain."
Le dramaturge avait d’abord songé à présenter Jocelyne est en dépression pendant la saison abhorrée elle-même, dans un parc. Autorisation municipale refusée. Qu’à cela ne tienne, la recréation imaginaire de l’hiver redouté en plein été vient d’autant plus souligner le décalage temporel au coeur du texte.
Notre manie de la projection se vérifierait à toutes sortes de niveaux, selon Choinière. C’est la faute à l’économie. "Si on anticipe à ce point-là, c’est qu’on vit dans un monde de productivité. Il faut toujours voir venir les choses, prévoir ce que ça va produire. Et le futur devient une valeur. L’instant présent, s’il ne produit rien dans l’avenir, n’a aucune espèce d’importance. On est toujours en train de vivre un pas à l’avance."
Cette incapacité à être dans l’instant présent nous ferait perdre notre pouvoir d’agir sur le réel, "la notion qu’on est, dans la cité, un individu avec des responsabilités". En plus de nous atteindre dans nos couches intimes. "On n’a plus aucun présent à accorder à personne." Difficile, dans ces conditions, d’établir un dialogue.
Bigre! Tout ça a l’air bien sérieux… "On n’est pas dans une distance ironique, assure le metteur en scène de son air réfléchi. Ce qui est absurde, c’est d’avoir pris cette matière banale pour parler d’une tragédie plus profonde. J’ai envie de fonctionner comme ça: de partir de détails tout à fait anodins pour voir ce qu’ils cachent. Et en réfléchissant sur le climat, sur l’hiver, on voit que c’est un sujet profond, finalement. Si on en souffre tant, ça veut dire quelque chose."
On verra bien… Jouée par Céline Brassard, Valérie Cantin, Simone Chevalot, Jean-Sébastien Lavoie et Sonia Vigneault, la pièce a pour cadre les nouvelles télévisées de 18 h, mais sur le modèle antique: avec les éléments hivernaux en dieux oppresseurs, un choeur, une speakerine-coryphée, et une miss météo en messagère tragique. Se lançant dans une apologie de l’hiver, celle-ci remplace la mythique Jocelyne, ce devin de la température, dont la maladie laisse peut-être présager le pire…
Avis aux fanatiques de beau temps: à moins d’une colère des dieux (orage électrique) prophétisée par les oracles d’Environnement Canada, le spectacle sera joué sous tous les climats. Surveillez donc les prévisions de Jocelyne, la vraie…
Du 6 au 31 août
Sur la terrasse du Théâtre d’Aujourd’hui