Michel Bérubé : Les deux font la paire
Scène

Michel Bérubé : Les deux font la paire

MICHEL BÉRUBÉ continue de laisser planer le mystère entourant Hervé Blutsch, auteur d’une pièce qu’il met en scène. Un spectacle donnant la vedette à Nietzsche, et à sa folie. Un projet ambitieux.

Blutsch

et Bérubé. Initiales BB. D’un côté, l’auteur timoré qui se cache derrière un pseudonyme pour ne pas déplaire à ses patrons; et de l’autre, le metteur en scène extraverti et ambitieux, qui dirige 11 comédiens avec l’aisance de celui qui a fait ça toute sa vie. Un "écriveux" français expatrié en Suisse et un p’tit baveux d’ici, unis par un coup de foudre qui pourrait bien être arrangé avec le gars de la régie. De leur union dépareillée est né Ervart, ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche, une comédie absurde sur les lubies d’un homme jaloux, écrite à quatre mains. Une sorte de clin d’oeil psychédélique à Othello, avec une histoire d’amour zoophile en prime.

"Cette pièce est une pieuvre!" Installé devant un espresso, Michel Bérubé entreprend de résumer la chose, avant de s’avouer vaincu. Essayons tout de même: Ervart est un pauvre bougre rongé par la jalousie, qui voit des signes du destin partout. "Il a l’impression que même les codes scéniques sont des complots, des ruses qu’utilise sa femme pour se camoufler. Il hallucine, et cette folie est mise en parallèle avec celle de Nietzsche, miné par la syphilis, convaincu que la publication de ses livres est une forme de terrorisme." On aura aussi droit à une histoire d’amour entre un agent secret et une jument ainsi qu’à de nombreux décrochages – "ici, ce ne sont pas les comédiens qui décrochent, comme dans Pirandello, mais les personnages" -, le tout dans la ville de Turin, à la fin du 19e siècle. Dépaysement garanti.

Turin hier, Montréal aujourd’hui: les fins de siècle se suivent et se ressemblent, croit le metteur en scène. "Le parallèle entre les deux époques est très intéressant à faire. Nous vivons la même effervescence, mais avec un peu plus d’élan. Je pense que nous sommes plus décadents encore qu’au 19e siècle." L’esprit boulevard du siècle dernier sera au rendez-vous. "Mais c’est un boulevard trash, parce que l’action prend toujours une direction inattendue."

Si la pièce est farfelue, son auteur n’est pas en reste. On en savait bien peu sur le discret Hervé Blutsch avant que la Compagnie à numéro, dirigée par Bérubé, prenne en main la création nord-américaine de ses pièces… et leur mise en marché. L’an dernier, le metteur en scène a profité du fait qu’il créait deux drames absurdes de Blutsch au FTA pour mettre en circulation une photographie de son chevelu collaborateur et vendre des bouteilles de shampoing à son effigie. Car, selon Bérubé, le dramaturge trentenaire gagne sa vie dans l’import-export de shampoings bios, dont une intrigante fragrance au camphre est actuellement disponible à l’Usine C. Une désopilante vidéoconférence avait aussi été présentée, en direct de Genève. Rien pour renforcer la théorie de l’outsider qui détale à la vue d’un projecteur…

Cette schizophrénie ne trouble pas le moins du monde le metteur en scène, complice de son alter ego artistique. "Nous sommes tous deux un peu blasés du côté sérieux que le théâtre peut se donner." Après Ervart, il entend continuer d’exploiter le filon Blutsch, en montant La Gelée d’arbre, un "conte morbide de Noël"! À 30 ans, Michel Bérubé a l’impression de ramer dans la bonne direction. La mise en scène lui plaît, et il ne manque pas d’audace. "J’aime ça, gérer un gros plateau, c’est plus spectaculaire." En 10 ans de carrière, il a joué dans "pratiquement tous les théâtres de la ville, même le TPQ!", fait de la télé, puis bifurqué vers la mise en scène avec un Macbeth présenté à L’X… en même temps que celui du TNM. Il a obtenu en 2002 le prix John-Hirsch du Conseil des Arts du Canada, remis à un metteur en scène très prometteur, et décroché une résidence de création à l’Usine C. Un vrai petit débrouillard.

Pour Ervart, il a recruté des "comédiens-metteurs en scène" (dont Suzanne Lemoine, Jacques Laroche, Michel-André Cardin et Marcel Pomerlo) qui ne se gênent pas pour remettre en question ses idées et proposer les leurs. "J’aime être choqué, contredit", lance-t-il, avant d’avouer en riant que cela donne des discussions animées. Parce que tous ont le même objectif en tête: travailler avec sérieux, sans se prendre au sérieux…

Du 13 au 24 août
Au Studio de l’Usine C