Jocelyne est en dépression : Le temps est bon
Scène

Jocelyne est en dépression : Le temps est bon

Une crête de haute pression souffle sur le Théâtre d’Aujourd’hui, charriant de forts vents de rire. C’est peut-être ainsi que Jocelyne décrirait le spectacle dont elle est la mythique héroïne in absentia, si sa matière était le théâtre, et non pas cet élément infiniment plus important pour les Québécois: le temps qu’il fait.

Une crête de haute pression souffle sur le Théâtre d’Aujourd’hui, charriant de forts vents de rire. C’est peut-être ainsi que Jocelyne décrirait le spectacle dont elle est la mythique héroïne in absentia, si sa matière était le théâtre, et non pas cet élément infiniment plus important pour les Québécois: le temps qu’il fait.

Dans un pays malade de l’hiver, notre rapport problématique à l’imprévisible climat national, déjà chanté par les Vigneault, Charlebois et Cie, valait bien une pièce. Jocelyne est en dépression, l’étonnante tragédie météorologique de la compagnie ARGGL!, tient à la fois de la pochade, de l’exutoire collectif et de l’analyse sociologique. Un petit exploit.

Sous son humour désopilant, la pièce d’Olivier Choinière étudie avec intelligence – et des arguments qui sonnent juste – notre martyrologie hivernale. L’auteur d’Agromorphobia voit dans nos sempiternelles jérémiades notre quête d’une inaccessible saison idéale, où même "l’été n’est jamais l’été dont tu rêves", mais une promesse sans cesse retardée, une tragique inaptitude à vivre dans l’instant présent. L’indice révélateur d’une vie en suspens, où l’on reporte continuellement son existence à plus tard. Touché.

Michel Tremblay avait déjà pavé la voie, en montrant que le discours tragique pouvait s’appliquer au destin des gens "ordinaires". Dans Jocelyne…, l’auteur et metteur en scène restitue ainsi notre lamento météorologique dans une forme antique, investissant cette complainte quotidienne et apparemment triviale d’une aura tragique. Son texte témoigne souvent d’un grand sens du rythme et de la rime, d’une poésie rigolote nourrie par le contraste entre le ton tragique de la pièce et le prosaïsme du sujet en général, et de certaines répliques en particulier…

Devant un décor qui reprend, en version enneigée, le coup d’oeil sur le mont Royal visible depuis la splendide terrasse du Théâtre, un choeur composé de trois représentants typés du public (l’ouvrier en camisole de Jean-Sébastien Lavoie, l’écolière à lunettes de la savoureusement truculente Céline Brassard et la yuppie en baby-doll de Sonia Vigneault) déverse ses imprécations contre le "temps de cul". Au retour de sa journée misérable dans une saison en enfer, le choeur communie devant la télévision, qui exorcise son calvaire en lui offrant sa pitance quotidienne et en alimentant le chialage collectif. Notamment la lectrice de nouvelles, véritable Sarah Bernhardt de l’information nationale et internationale, merveilleusement campée par une Valérie Cantin au ton emphatique de tragédienne ampoulée.

Ce soir-là, la speakerine et le choeur sont catastrophés: Jo-ce-lyne, la "grande chamane" de la météo, est absente. Et sa remplaçante (Simone Chevalot, d’une innocence tout aérienne) leur impose un dithyrambe de l’hiver, désireuse de démontrer à ses contemporains qu’ils perdent leur temps à haïr la glaciale saison – désigner un ennemi commun est garant de l’ordre social, rappelle cette pièce comico-subversive. Son convaincant plaidoyer suffira-t-il à persuader les spectateurs de changer leur façon de voir – et de vivre – l’hiver? Réponse dans quelques mois…

En attendant, Olivier Choinière ne nous en voudra sûrement pas, avec notre manie de nous projeter dans l’avenir, de rêver déjà à ce que nous réserve l’édition 2003 de ce qui est devenu, sous sa gouverne, une délectable tradition estivale. À chaque saison ses plaisirs…

Jusqu’au 31 août
Sur la terrasse du Théâtre d’Aujourd’hui