Cristina Iovita : Raconter l’Histoire
Arrivée à Montréal il y a six ans, après s’être fait montrer la porte de la Roumanie et avoir bâillé d’ennui aux États-Unis, la metteure en scène Cristina Iovita est encore un secret bien gardé ici.
Arrivée à Montréal il y a six ans, après s’être fait montrer la porte de la Roumanie et avoir bâillé d’ennui aux États-Unis, la metteure en scène Cristina Iovita est encore un secret bien gardé ici. Cette pasionaria de la commedia dell’arte a pourtant mis au point au cours des 20 dernières années une méthode d’entraînement pour acteurs basée sur l’improvisation, aux résultats étonnants. Pour sa cinquième mise en scène au Québec, la directrice artistique du Théâtre de l’Utopie s’attaque au roman philosophique Jacques le Fataliste et son maître, de Denis Diderot. Son but: provoquer une révolution dont les spectateurs seront les héros.
Cristina Iovita a le goût du risque. Sinon, pourquoi choisir comme matériau un anti-roman, qui s’emploie constamment à déjouer et à ridiculiser les conventions romanesques, pour le transposer quelques années plus tard (1793), en pleine période de terreur? "D’abord, ce qui m’intéresse, c’est de trouver comment on peut illustrer au théâtre un dialogue philosophique, explique-t-elle. Jacques le Fataliste est le modèle idéal, parce que les dialogues sont interrompus par des récits, des histoires, des farces. Je trouve la formule très libératrice, idéale pour l’improvisation. De plus, la Révolution française est, selon moi, le modèle de toutes les révolutions. Je me suis demandé: est-ce que les révolutions apportent la liberté, oui ou non?"
D’où l’idée de situer l’action dans une prison, où Jacques fait le récit de ses amours, sans cesse interrompu par le Chevalier, la Marquise, la Soubrette ou par le Maître, qui partagent sa geôle. Ils interrogeront le public, le feront grimper sur scène, et lui demanderont même d’inventer une fin. Pas d’inquiétude, les comédiens Nathalie Costa, Danny Gagné, Catherine Hamann, Michel Lavoie et Marc Mauduit sont prêts à tout. "L’improvisation hautement contrôlée est la technique principale de la commedia dell’arte. Il s’agit de prévoir ensemble toutes les variations possibles sur un thème, puis de s’adapter aux réponses du public." Des extraits d’une courte pièce anonyme grivoise et du Discours aux Français, de Sade, viendront pimenter ce spectacle, premier volet d’un diptyque visant à "analyser comment la corruption des idéaux peut aboutir à un acte sanglant qui n’a plus aucun sens, mais qui est quand même une libération". Parlez-en à Ceausescu.
Engagée à l’École nationale de théâtre par André Brassard, puis débauchée à son grand désarroi lorsqu’il a quitté l’établissement, Cristina Iovita a tout de même eu le temps d’intéresser ses étudiants aux techniques de la Renaissance italienne. Elle a fondé avec certains d’entre eux, en 1999, le Théâtre de l’Utopie, composé aujourd’hui de cinq membres. "Ils ne sont pas encore désabusés, s’enflamment très vite et sont capables de rigueur et de discipline. Et surtout, ils ne sont pas encore tout à fait corrompus par les désirs matériels (rires)!"
Mis au régime sec par les subventionneurs, le Théâtre de l’Utopie s’est tourné vers le secteur privé. Résultat: 10 000 dollars dans la cagnotte. Une aberration, selon Cristina Iovita. "On ne peut pas laisser le privé s’occuper de cela! J’ai horreur d’aller cogner aux portes des entreprises, parce que dans mon pays d’origine, j’ai dû mendier comme 50. Mais la Roumanie, c’était un pays en faillite…"
Pour assurer le succès de son adaptation de Jacques le Fataliste, la débrouillarde metteure en scène s’est fait un devoir de contacter des enseignants. "En Roumanie, les étudiants étaient la base de toute avant-garde. Quand ils ne venaient pas voir une pièce, nous étions malheureux. Mais ici, ils sont rares. Il faut les intéresser au théâtre, et leur faire découvrir les grandes oeuvres du passé. Après tout, l’humanité reste la même, et on ne peut pas toujours faire table-rase."
Du 17 septembre au 12 octobre
Au Théâtre Prospero