Denis Lavalou : La face cachée de Duras
Scène

Denis Lavalou : La face cachée de Duras

L’automne sera chaud pour les durassiens. Par un de ces curieux synchronismes que le milieu artistique nous offre parfois, Montréal aura droit ces prochaines semaines à une sorte de mini-festival Marguerite Duras.

L’automne sera chaud pour les durassiens. Par un de ces curieux synchronismes que le milieu artistique nous offre parfois, Montréal aura droit ces prochaines semaines à une sorte de mini-festival Marguerite Duras, trois théâtres semblant s’être donné le mot pour présenter une pièce de l’auteure de L’Amant. Six ans après sa mort, c’est l’occasion de redécouvrir cette écrivaine très médiatisée de son vivant, autour de laquelle s’était créé un mythe.

D’autant qu’avant cette manne, elle a été "étonnamment peu" jouée ici. "Je pense que c’est parce qu’on a une image très rébarbative de Marguerite Duras", avance Denis Lavalou. C’est justement ce qui a incité le codirecteur du Théâtre Complice à monter Le Shaga et Yes, peut-être, un duo de courtes pièces – son second Duras après la mise en scène de La Musica deuxième, en 1995.

"Ça m’intéressait de montrer un autre visage de Duras. On la voit toujours comme une personne extrêmement sérieuse, imbue d’elle-même. Pour moi, c’est important de faire ressortir l’humour de cette femme, présent dans tous ses grands romans du début. Et les gens qui l’ont connue disaient qu’elle était une ironiste, une rigolote! Il y a, dans l’idée qu’on se fait du personnage, quelque chose qui ne correspond pas à la vérité littéraire."

Avec ces pièces créées en janvier 68 (mais retravaillées pendant une décennie), peu de temps avant la rébellion de la jeunesse française, la dame casse son image en touchant au théâtre de l’absurde. "Elle a vraiment accompli là sa révolution dramaturgique personnelle, s’enthousiasme Lavalou. Elle avait une envie de renouveau, même par rapport à elle-même, j’ai l’impression. Ayant énormément écrit dans les années 60, elle est alors reconnue, adulée par les uns, rejetée par les autres. Mais tout d’un coup, elle balaie tout ça et se donne la liberté de réinventer sa propre plume. C’est une parenthèse, éclatée et ludique, dans son oeuvre, mais qui va lui donner la preuve qu’elle est aussi capable d’écrire autre chose."

Autre élément inusité dans son parcours: la quinquagénaire travaille directement avec les comédiens, qui improvisent à partir des canevas qu’elle leur soumet. Une période très collectiviste pour Duras, qu’on verra ensuite manifester avec les étudiants, distribuer des tracs…

Denis Lavalou, Estelle Clareton et Marie-Josée Gauthier incarneront les trois personnalités récurrentes de ces deux pièces complémentaires. Traitant de l’individualisme, la première étale la rivalité de personnages enfermés dans leurs obsessions et leur égocentrisme forcené. Pour se couper définitivement des autres, l’une d’eux a même inventé un langage imaginaire, le shaga…

"On pourrait considérer aussi qu’il s’agit d’un condensé d’un seul personnage, illustrant les différentes tendances qui s’affrontent à l’intérieur de nous: le cérébral, le désir d’exulter par le corps, et le social, puisqu’il faut sans arrêt se présenter au monde, jouer une image publique. Duras en savait quelque chose…"

L’individualisme et l’absence d’écoute, c’est ce qui risque de nous mener à la situation apocalyptique décrite dans Yes, peut-être, qui met en scène "l’échec du monde". La Terre est devenue un désert ravagé, où errent deux femmes, traînant un ancien guerrier plus ou moins réduit à l’état de légume. Faut-il tenter de repeupler la planète, au risque de perpétuer le gène destructeur?

Montrant une humanité à la mémoire déficiente, susceptible de recommencer les mêmes erreurs, ce scénario catastrophe présente des enjeux encore plus brûlants aujourd’hui. "On est vraiment en plein dedans! Les menaces de conflits, la peur de la destruction planétaire… Tout nous rejoint dans cette pièce. Dans sa thématique, elle est beaucoup plus grave que Le Shaga. Mais dans son jeu sur le langage, ça reste ludique. On essaie de demeurer dans cette légèreté que Duras revendiquait à l’époque."

C’est donc une image moins monolithique de Duras que veut nous proposer le sympathique comédien d’origine française, emménagé ici depuis presque 10 ans. Parce qu’il était tanné de se buter à des portes fermées dans une Hexagone alors hermétiquement cloisonnée; tanné de se faire dire: "Vous êtes un comédien de théâtre, vous ne pouvez pas faire de télé!"

Si ses débuts n’ont pas été forcément faciles, Denis Lavalou dit avoir trouvé ici une ouverture d’esprit. "Et je trouve formidable la polyvalence des acteurs", ajoute celui qu’on verra dans la peau d’un Jean-Louis Roux jeune, dans la série consacrée à Jean Duceppe qui sera diffusée à Télé-Québec cet automne…

Du 17 septembre au 5 octobre
Au Théâtre La Chapelle