Macha Limonchick : La force des choses
Après le succès critique et public de La Vie la vie, MACHA LIMONCHIK revient à ses premières amours: le théâtre. Cet automne, avec une création québécoise, puis avec un Claudel, la jeune actrice continue d’explorer les diverses facettes de son métier. Dans le plaisir et dans le doute.
Ce matin-là, Macha Limonchik aurait préféré demeurer à la maison, à l’abri des contraintes du monde extérieur. Mais elle était bien au rendez-vous. Disponible, attentive, et si généreuse. Elle est arrivée au journal, un peu à l’avance. Elle était très belle, malgré ses yeux bouffis par la fatigue et les nombreuses larmes qu’elle a versées depuis deux semaines.
Au moment même où elle vit le deuil de son père, l’ex-conseiller municipal Abe Limonchik décédé le 27 août dernier, Macha Limonchik se lance dans un intense sprint théâtral. La comédienne répète actuellement deux personnages principaux qu’elle incarnera l’un après l’autre.
D’abord, elle sera une sirène d’apparence humaine, dans Mademoiselle Eileen Fontenot pour les dix sous de liberté. Une pièce poétique et onirique d’Erik Charpentier, un jeune auteur québécois vivant en Louisiane, à l’affiche dès le 17 septembre au Théâtre d’Aujourd’hui, et mise en scène par Jean-Frédéric Messier, avec qui elle a fait son baptême théâtral dans Nuits blanches en 1992.
Ensuite, à partir du 29 octobre, elle remontera sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde sept ans après sa Mégère apprivoisée. Elle plongera dans l’univers splendide et exigeant de Paul Claudel, avec le rôle de Marthe dans L’Échange, sous la direction de Martin Faucher, qui l’avait dirigée au printemps 2001 dans L’Affaire Dumouchon à La Licorne.
Après la formidable aventure de La Vie la vie, dans laquelle elle incarnait la vulnérable et égocentrique Claire, imaginée par l’auteur Stéphane Bourguignon, on aurait cru que Macha Limonchik se serait lancée tout de suite dans une autre populaire télésérie. C’est bien mal la connaître.
"Je m’ennuyais du théâtre", avoue la comédienne qui apparaîtra quand même au petit écran cette saison dans Samuel, à Radio-Canada. Cette mini-série de quatre épisodes, réalisée par Pierre Gang et tournée dans un village de pêcheurs au Nouveau-Brunswick, est l’unique projet télé à son agenda.
Est-ce une rupture avec la télévision? "Non, pas du tout, j’adore ce média et jouer devant des caméras. Mais le travail d’équipe me manquait, explique Macha Limonchik. J’aime bien l’esprit communautaire et collectif du théâtre. Il n’y a pas de hiérarchie dans une salle de répétitions, du moins pas avec Martin Faucher ou Jean-Frédéric Messier. Tout le monde fouille, cherche et explore des pistes de travail."
Dans Mademoiselle Eileen, Macha Limonchik incarnera une sirène qui va séduire un jeune vendeur d’assurances de la Louisiane joué par Miro. Aux côtés de ces deux comédiens, on retrouve aussi Didier Lucien, Han Masson, Stéphane Demers et Julien Poulin qui défendront les étranges et excentriques personnages de Charpentier (Poulin dira aussi les didascalies parce que l’équipe les trouvait trop belles pour les taire!). Le musicien Luc Bonin (Urbain Desbois) sera aussi sur scène avec sa musique exaltée.
Eileen, la sirène déguisée en mortelle d’Erik Charpentier, ne sera pas coquette comme les créatures aquatiques des contes d’Andersen; son apparence humaine se fane rapidement dans les moiteurs de La Nouvelle-Orléans. L’autre jour, Macha Limonchik s’est rendue dans les ateliers de décors pour observer le travail des concepteurs. Deux maquilleurs étaient en train de créer la prothèse d’un bras en décomposition qu’elle va porter pour le show. "En regardant les maquilleurs travailler, j’étais fascinée. Pour moi, le côté artisanal de mon métier est plus important que la glamour. Je discute autant avec les concepteurs que les techniciens ou le metteur en scène. À la télévision, on n’a pas le choix d’imposer une hiérarchie parce que produire une série coûte très cher. Alors qu’au théâtre, il n’y a pratiquement pas d’argent."
Diplômée de l’École nationale de théâtre du Canada au début des années 90, Macha Limonchik a amorcé sa carrière avec éclat. L’actrice a tourné avec des spectacles de Robert Lepage (Le Cycle Shakespeare et Les Sept branches de la rivière Ota). En 10 ans de métier, elle s’est imposée tant au cinéma (Eldorado, de Charles Binamé) qu’au théâtre (la reprise d’Albertine, en cinq temps) ou à la télévision. Cependant, à 32 ans, Macha Limonchik semble toujours rongée par le doute.
"Je suis moins pire que Claire dans La Vie la vie, nuance-t-elle. Mais je reste terriblement angoissée. À chaque nouveau projet, j’ai peur de l’échec. Pour Mademoiselle Eileen, je me demande si je vais être crédible dans la peau d’une sirène… Car je ne me trouve pas assez séduisante. Pour Marthe dans L’Échange, je crains de ne pas rendre la beauté du texte de Claudel, ni la lumière de son personnage."
Bonjour tristesse
"Il faut montrer la vie non telle qu’elle est, ni telle qu’elle doit être, mais telle qu’elle nous apparaît en rêve", a écrit Tchekhov dans La Mouette, en sachant fort bien que le pire piège du théâtre est de tomber dans le reportage, l’anecdote.
Avant de rencontrer Macha Limonchik, lundi dernier, j’ai beaucoup pensé à Tchekhov. Parce que l’auteur de La Cerisaie connaissait bien l’absurdité de la vie. Et existe-t-il quelque chose de plus absurde et mystérieux, dans la vie, que la mort d’un être cher?
Il n’y avait pas que l’appréhension de rencontrer une comédienne en deuil qui m’a replongé dans Tchekhov. Selon moi, Macha Limonchik est la plus tchékhovienne des comédiennes de sa génération. Je la vois très bien interpréter, par exemple, son homonyme dans Les Trois Soeurs et lancer la dernière réplique – "Il faut vivre" – en esquissant son beau sourire mélancolique, un sourire tchékhovien.
Macha n’a pas encore triomphé dans des pièces de l’auteur russe. Ou presque. En octobre dernier, elle a fait partie d’une production du Théâtre de l’Opsis. Une "complication" d’Howard Barker d’après Oncle Vania, présentée à l’Espace Go… à 23 heures.
Le public restreint, assis sur la scène, regardait les acteurs jouer dans les gradins sous la lumière vive de la salle. Macha jouait la belle et ténébreuse Élèna, celle pour qui le pauvre Astrov tombera amoureux malgré lui. Elle était merveilleuse!
Pudique et sensuelle, timide et orgueilleuse, vulnérable et très intelligente, Macha Limonchik est une femme pleine de contradictions au point d’en devenir un beau cliché. C’est un oiseau sauvage dans le ciel du showbiz québécois. Une espèce d’actrice rare qui, comme un martinet dans le ciel, plane d’un rôle à l’autre sans que nous puissions jamais savoir où elle va se poser. Vous l’attendez à la télé; la comédienne se retrouve dans une création québécoise. Vous croyez qu’elle se lance dans une carrière cinématographique; l’actrice décide de partir en tournée.
Curieusement, la nature est omniprésente dans tous les projets de la comédienne cet automne. La mer et le ciel dans Samuel; le littoral et la plage dans L’Échange; la chaleur et les bayous louisianais dans Mademoiselle Eileen. Comme quoi la vie se colle toujours au talent.
"Il y a, je pense, un fil conducteur dans mes choix artistiques", dit-elle, comme pour se défendre de ne pas être assez sérieuse, ni ambitieuse. "Je choisis toujours des projets hors norme. Je ne veux pas qu’on devine la manière dont j’incarnerai un tel personnage avant même d’avoir commencé à le jouer. J’aime l’ivresse de l’inconnu."
La peur au ventre
Jean Genet disait que le théâtre ne donne pas de réponses; seulement des questions. Éternelle exploratrice, Macha Limonchik, lorsqu’elle est seule, s’interroge constamment… Au grand dam de ses nuits de sommeil. Elle est donc dans son élément sur les planches, ce lieu propice au vertige comme au sublime.
"J’ai toujours la peur au ventre avant de plonger dans un personnage, confie-t-elle. Mais ce n’est pas une peur paralysante. J’ai la chance d’avoir un caractère de cochon qui a raison de cette peur. Au fond, c’est une drôle de guerre. Le soir de la première, je me cache derrière le rideau pour regarder les spectateurs entrer dans la salle. Au lieu de courber les épaules sous le trac, je me redresse! J’enfile mes gants de boxe: "OK! Venez donc me dire que je ne suis pas bonne… J’ai travaillé fort et je vais y arriver!"
Au beau milieu de l’entrevue, Macha Limonchik lance cette phrase troublante: "C’est dur de vivre en s’excusant de vivre." Je suis trop bouleversé pour fouiller ce mal de vivre. Or, elle dira un peu plus tard que, malgré la tristesse ou les angoisses, le plaisir et le "fun de la vie" la rattrapent toujours. "L’ombre et la lumière m’habitent à part égale, dit-elle. Je peux passer de l’un à l’autre entre deux phrases. Mais, pour moi, ce n’est pas quelque chose de très douloureux. J’ai toujours vécu comme ça…"
Encore là, on revient à Tchekhov: "La vie ne connaît pas de sujets, dans la vie tout est mélangé, le profond et l’insignifiant, le sublime et le ridicule." La mort d’un père… et la promotion d’un spectacle? "J’ai passé des mois à l’hôpital à son chevet. Je suis débordée et je n’ai pas vraiment le temps de vivre mon deuil. Mais une fois arrivée dans le feu de l’action, dans une salle de répétitions ou ici à parler de mon métier, je redeviens forte.
"Mon père nous a transmis, à moi et à ma famille, de belles valeurs: l’honnêteté, la générosité et le courage de ses convictions. Quand j’ai lu tous les témoignages dans les journaux après son décès, j’ai vu que son héritage a été légué. Mais je suis tellement loin d’être parfaite! (rires)"
Abe Limonchik a aussi transmis à sa fille imparfaite son insatiable curiosité qui la pousse à lire, à voyager et à se nourrir des oeuvres d’art de divers horizons. "L’art m’aide à supporter la vie, tranche-t-elle. Quand je vois un beau spectacle, un bonne exposition ou même une belle lumière sur un décor, je suis toujours consciente et touchée par l’intuition humaine derrière l’accomplissement esthétique. Pour moi, l’art, ça fait partie du génie humain. Mon chat est une bête adorable, mais il n’inventera jamais rien…"
Mademoiselle Eileen Fontenot
Du 17 septembre au 12 octobre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
L’Échange
Dès le 29 octobre
Au Théâtre du Nouveau Monde