Kean : Pour public averti
Scène

Kean : Pour public averti

Trop, c’est comme pas assez, entend-on souvent. Ce lieu commun aurait pu éclairer René-Daniel Dubois avec  Kean

Trop, c’est comme pas assez, entend-on souvent. Ce lieu commun aurait pu éclairer René-Daniel Dubois avec Kean, le spectacle qui a ouvert la saison du Théâtre du Nouveau Monde la semaine dernière. Sa mise en scène déborde d’idées et d’intentions artistiques au point de noyer le propos du magnifique texte d’Alexandre Dumas, qui est ici produit dans l’adaptation de Jean-Paul Sartre créée en 1953.

Alexandre Dumas père a écrit Kean un siècle avant, en 1836, en pleine gloire et à une époque tumultueuse, alors que la France voyait disparaître sa monarchie restaurée, et que le mouvement romantique voulait révolutionner l’art. Dumas a donc choisi de s’inspirer d’Edmund Kean, un grand acteur shakespearien issu de la plèbe britannique, pour mieux défendre la cause des romantiques.

Après s’être hissé au sommet du théâtre anglais et avoir frayé avec le gratin noble de son époque, Kean va se détruire dans l’alcool et la démesure. Personnage à la fois génial et monstrueux, Kean est un excellent sujet de drame. Mais Dumas a privilégié la satire sociopolitique à l’anecdote biographique

Ce texte magnifique demeure très différent, dans le propos et le style, du Dumas des romans-fleuves et historiques (Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo, La Reine Margot). Plus qu’un héros, Kean est ici un libre penseur, incompris tant par le peuple que par ses dirigeants. Dumas a donc insufflé l’idéal romantique à son personnage.

En entrevue de promotion de Kean, RDD a répété que monter ce texte comme un simple drame historique ou biographique l’aurait ennuyé. Il a donc trouvé une autre façon de raconter l’histoire, en situant chaque acte à une époque différente (1820, 1915, 1943, 1968 et aujourd’hui) qui se rapporte à "un moment significatif de la marche de l’humanité". À mon avis, cela est superfétatoire. Suspendre une photo de la guerre du Viêt Nam au milieu de la scène frappe l’oeil mais n’éclaire pas les enjeux dramatiques de l’oeuvre.

René-Daniel Dubois a choisi l’adaptation de Jean-Paul Sartre écrite en 1953. Il a aussi pris quelques libertés avec des ajouts et des coupures dans le texte, notamment au cinquième acte. Distrayante et imposante, la lecture de Dubois laisse peu de place à l’interprétation du public, ni à son intelligence; et ce, dès le début, avec un inutile prologue lu par Jean Asselin (Kean) devant le rideau de scène. RDD a ajouté ce prologue à une pièce déjà longue (plus de trois heures) "pour mieux préciser les enjeux au public"!

D’un point de vue esthétique, la signature de René-Daniel Dubois et son équipe (Ginette Noiseux aux costumes, Guy Simard aux lumières, entre autres…) est omniprésente. Dubois exploite des effets scéniques déjà utilisés dans Le roi se meurt ou Les Guerriers: cette façon de caricaturer les méchants aristocrates avec des griffes au lieu d’ongles, ou de faire jouer froidement les acteurs en position frontale. Encore là, on s’interroge quant à la pertinence de ses choix; il faut faire attention aux tics esthétiques.

Finalement, il faut souligner le grand investissement des acteurs et des concepteurs dans cette aventure un peu casse-cou. Mentionnons les prestations de Jean Asselin, Luc Chapdelaine et Martien Francke, tous les trois fort impressionnants dans leurs personnages.

Jusqu’au 10 octobre
Au Théâtre du Nouveau Monde