Critique: Léviathan coccyx : Jusqu'au 5 octobre Au Périscope
Scène

Critique: Léviathan coccyx : Jusqu’au 5 octobre Au Périscope

Exigeant, le défi posé par le propos de Léviathan Coccyx. Pièce de Jean-Daniel Magnin, ce texte fait le portrait d’un "dictateur emblématique" déchu, dont on imagine, à travers les relations avec ses proches, l’usage – et l’abus – qu’il a fait du pouvoir. À travers lui, c’est à une interrogation sur la dictature et ses rouages que nous convie  l’auteur.

Exigeant, le défi posé par le propos de Léviathan Coccyx. Pièce de Jean-Daniel Magnin, ce texte fait le portrait d’un "dictateur emblématique" déchu, dont on imagine, à travers les relations avec ses proches, l’usage – et l’abus – qu’il a fait du pouvoir. À travers lui, c’est à une interrogation sur la dictature et ses rouages que nous convie l’auteur.

Si certaines scènes sont affreuses par le texte ou l’action, si certaines répliques font allusion de façon certaine à des horreurs du XXe siècle, quelque chose, dans le jeu, bloque la réflexion. Le tyran, Léviathan Coccyx, apparaît plus comme un grand enfant gouverné par ses désirs que comme un être calculateur, froid, méprisant des autres et de leur vie. Manipulateur, certes, et centré sur lui-même, il s’occupe à satisfaire joyeusement ses pulsions (sexuelles, notamment), plutôt qu’à en faire l’expression de son pouvoir.

Émotif, enjoué, parfois dépassé par les événements, Léviathan Coccyx n’est pas l’être abject qu’on aurait attendu. Ces traits du dictateur relèvent-ils du texte? Le paradoxe du tyran à visage humain est-il délibéré? Cette image adoucie dépend-elle de la direction d’acteurs, par volonté de désamorcer ce qui semble trop horrible, par peur de choquer?

Une telle pièce, il est vrai, requiert un dosage délicat entre froideur et humour; on peut se demander si l’équilibre, ici, est atteint. Car ce portrait, presque sympathique, du dictateur, empêche peut-être la pièce de toucher son but: faire réfléchir au phénomène du pouvoir dictatorial, à la destruction qu’il engendre. Voir cette pièce sans connaître l’intention de l’auteur permet-il de saisir la profondeur et la complexité du sujet abordé? On peut en douter.

Outre cet élément, la pièce nous introduit habilement dans un univers singulier et étonnant. Comédiens solides (Marie-Ginette Guay, Linda Laplante, Myriam LeBlanc, Édith Paquet, Guy Thauvette), excellente utilisation de l’espace et du décor (Gilles Lambert), bancal à souhait, costumes appropriés et très beaux (Catherine Higgins): le tout crée un monde étrange, hétéroclite, situant la pièce en un lieu indéterminé (malgré plusieurs références à l’Europe de l’est), lui donnant par là une portée universelle. Puisque le fléau de la tyrannie – l’histoire, ancienne et récente, l’a montré – ignore les frontières.

La pièce, expliquait Philippe Morand, metteur en scène, s’intéresse à la dictature mais aussi à ses suites. À cet égard, le fin est éloquente et inquiétante: très efficace.