Jacques le fataliste : L’art du jeu.
Avec sa série d’histoires emboîtées les unes dans les autres, sa légèreté narrative, Jacques le fataliste se prête volontiers au genre théâtral. (Milan Kundera en a d’ailleurs tiré une pièce, Jacques et son maître.)
Avec sa série d’histoires emboîtées les unes dans les autres, sa légèreté narrative, Jacques le fataliste se prête volontiers au genre théâtral. (Milan Kundera en a d’ailleurs tiré une pièce, Jacques et son maître.) Dans son adaptation très libre présentée au Théâtre Prospero, Cristina Iovita a fait de ce conte philosophique sur l’esthétique romanesque, où Diderot s’amuse à esquiver les attentes du lecteur, un spectacle vivant et très baroque qui met en valeur l’art du jeu.
La metteure en scène a transposé ce roman achevé en 1783 dans une prison révolutionnaire, où Jacques (Marc Mauduit) et son maître (Michel Lavoie) croupissent en compagnie d’une marquise (Nathalie Costa), d’un chevalier (Danny Gagné) et d’une soubrette (Catherine Hamann). La liberté est au coeur des débats et récits de ces individus qui en sont cruellement privés. Maîtres et valets discutent amour et rapports de domination, à travers l’interprétation de contes moraux ou de farces paillardes. Des digressions interrompant sans cesse la narration des amours de Jacques, véritable coitus interruptus du récit…
Teinté aux couleurs de la commedia dell’arte – qui inspire d’ailleurs les costumes d’Anne-Marie Matteau, ceux des deux serviteurs évoquant Colombine et Arlequin -, ce spectacle construit par improvisations est fait de perpétuelles ruptures, ce qui le rend éclaté et parfois difficile à suivre.
La pièce maintient un curieux équilibre entre le libertinage et la philosophie, les pitreries et la réflexion, le jeu physique et les adresses au public, les grivoiseries et le spectre de la mort, qui se fait plus pressant en seconde partie. Comme si la menace de l’exécution donnait une urgence aux récits du quintette, dont les joyeux jeux deviennent une manière d’éluder l’attente de la mort.
Mais malgré certaines longueurs, Jacques le fataliste reste d’abord un jeu, une fête d’interprétation, enlevée grâce à la souplesse de la jeune distribution, dont l’enthousiasme ne fléchit jamais. Soulignons tout particulièrement la flexibilité du Jacques très arlequinesque de Marc Mauduit, la fraîcheur naturelle de Catherine Hamann, les dons comiques de Nathalie Costa. La troupe ne manque pas d’aisance pour interpeller le public – un peu comme Diderot le faisait lui-même -, voire enrôler occasionnellement les spectateurs-prisonniers, que l’aire de jeu centrale rend facilement accessibles.
Même si ce procédé souvent amusant ne va finalement pas très loin, il nous renvoie en écho les interrogations capitales de ces personnages qui revendiquent leur liberté à l’ombre de la guillotine, mais sont tragiquement rattrapés par l’Histoire. Une Histoire qu’on nous invite à changer. Dure commande…
Jusqu’au 12 octobre
Au Théâtre Prospero