En attendant Godot : L'attrait du vide
Scène

En attendant Godot : L’attrait du vide

Qu’est-ce que cela change d’avoir la vie devant soi, plutôt que derrière, quand de toute façon on passe à côté?

Qu’est-ce que cela change d’avoir la vie devant soi, plutôt que derrière, quand de toute façon on passe à côté? C’est la question que soulève ce génial En attendant Godot venu de Belgique, où les vieux amis éreintés sont remplacés par un duo de jeunes survoltés, un peu comme si le metteur en scène Lorent Wanson faisait grimper sur scène les petits-enfants hyperactifs de Vladimir et Estragon. Un saut dans le temps qui permet de décaper cette oeuvre troublante pour revenir à l’essentiel: deux hommes enfermés dans une sale attente.

Ils arrivent au pas de course pour se jeter brutalement contre un mur métallique. À trois reprises. "Rien à faire." Le crâne rasé, vêtus d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, on les dirait tout droit sortis d’un récit d’Irvine Welsh. Pas étonnant que le metteur en scène les compare à des gamins surexcités qui ne savent pas rester en place – ils n’en ont pas, de place! Sans déroger de la partition textuelle de Samuel Beckett, ils mitraillent leurs répliques et s’accordent de longs moments de silence. Si l’histoire reste la même, celle de deux loques qui attendent un homme qui ne se pointe jamais, ce Godot au ginseng est d’une fraîcheur réjouissante. Une shot d’énergie brute.

Le décor et la bande sonore sont minimalistes et plutôt ludiques – quelques notes de Portishead viennent taquiner le public… Au milieu de l’espace de jeu trône une structure métallique sur laquelle pousse un arbre de cuir. Dans la première partie, Vladimir et Estragon parlent de s’y pendre tandis que dans la seconde, ils s’en servent comme d’un îlot où ils se réfugient, entourés d’une mer de chaussures. Déboulent du fond de la salle l’impérial Pozzo (Frédéric Hérion) avec, au bout d’une corde, son porteur Lucky (Renaud Riga) aux allures de petit singe, ainsi que le messager de M. Godot (Grégory Praet). Leur jeu est précis, plein d’humour, rigoureux. Calo Valenti et Cyril Briant sont émouvants quand ils s’étreignent, inquiétants dans leurs combats avec l’arbre devenu punching-ball, et rigolos lorsqu’ils se lancent par terre pour une sieste expéditive ou sortent des légumes… de leur entrejambe! Pas étonnant que cette production vivifiante du Centre dramatique Hainuyer et du Théâtre National de la Communauté Wallonie Bruxelles ait été récompensée d’un prix de mise en scène en Belgique!

Très bonne idée, donc, que d’avoir confié les rôles des illustres sans-logis à deux fringants comédiens dans la vingtaine, Calo Valenti (Vladimir) et Cyril Briant (Estragon), ce dernier récipiendaire chez lui du Prix du meilleur jeune espoir masculin. Un choix en accord avec l’air du temps – voir la vague de dramaturges préoccupés par la dérive de la jeunesse – qui électrise le chef-d’oeuvre du maître irlandais.

Le Théâtre Denise-Pelletier a été la première grande compagnie québécoise à présenter En attendant Godot. Trente ans plus tard, ce classique du théâtre absurde revient secouer une nouvelle génération avec, cette fois, une fin chargée d’espoir. À s’injecter comme un antidote à cette lâcheté qui cloue trop souvent sur place, dans l’attente d’un Godot qui ne vient jamais. Pourquoi, cette fois, ne pas aller à sa rencontre?

Jusqu’au 19 octobre
Au Théâtre Denise-Pelletier