L’État des lieux : Dernier inventaire avant liquidation
Voix riche, grave, posée, MARTHE TURGEON a la voix qu’on imaginerait à une diva; une voix convenant parfaitement à Patricia Pasquetti, personnage qu’elle incarne dans L’État des lieux, dernière pièce de MICHEL TREMBLAY.
Patricia Pasquetti – de son vrai nom Patricia Paquette -, cantatrice à la carrière internationale, débarque au pays, enragée. En plein opéra, sa voix l’a trahie; c’est le signe, elle le sait, de son déclin. Elle ne peut l’accepter.
De retour chez elle, elle discute avec sa fille (Kathleen Fortin) et, plus tard, avec sa mère (Béatrice Picard), toutes deux comédiennes ayant choisi de travailler à Montréal. À travers leurs échanges, cinglants, et les propos acidulés dont Michel Tremblay a le secret, la pièce ratisse large.
"Le titre porte beaucoup de choses", avance Marthe Turgeon. L’État des lieux: état des relations familiales, de mère à fille, entre différentes générations (70, 50, 30 ans); état de la famille agrandie, la famille québécoise; état de l’artiste qui, au prix d’efforts multiples dans un monde où tous les coups sont permis, s’est taillé une carrière internationale, et méprise ceux qui restent ici; état aussi de son "immense solitude".
Doit-on partir ou rester? Être reconnu internationalement est-il nécessaire pour prouver qu’on est un grand artiste, comme on a parfois la fâcheuse habitude de le croire au Québec? Enfin, à quel moment – et y en a-t-il un? – un artiste cesse-t-il d’être pertinent? Telles sont les questions que pose le spectacle.
"On retrouve aussi beaucoup, dans la pièce, le manque d’amour des uns envers les autres, complète la comédienne: d’une génération à l’autre, et entre nous Québécois. On s’aime, mais on ne sait pas comment se le dire: on est maladroit pour manifester ses émotions. Et ça c’est vieux comme le Québec; ça n’a pas évolué beaucoup, selon moi. Le rapport que j’entretiens avec ma fille, dans la pièce, est dur, terrible; le rapport de ma mère avec moi est plein de timidité par rapport aux sentiments, et plein d’incompréhension de part et d’autre, même si elles s’aiment profondément. Il y a un grand malaise dans tout ce qui touche les émotions, comme dans toutes les pièces de Tremblay."
Ce rôle de la cantatrice sur le déclin est un des rôles difficiles qu’a incarnés Marthe Turgeon. Dans les tragédies – nombreuses – qu’elles a jouées, le rapport au texte et au personnage est différent. "Jouer une reine dans un texte écrit par un grand auteur classique, ça demande beaucoup de rigueur, mais tu es "portée" par le texte. Ici, il y a beaucoup de recherche à faire. Il y a quelque chose de quotidien: ce n’est pas comme dans Racine, Schiller, Müller, où tu es dans le passé. Patricia est un personnage qui entre en scène aujourd’hui, ce soir. Je n’ai pas une couronne sur la tête et une grande robe; je sors d’un avion, je suis habillée en tailleur, et je dois prétendre que je suis une grande diva d’opéra. La diva rentre dans son salon: elle est en furie. Elle sacre, se chicane avec sa fille, pleure; elle est prétentieuse, méprisante, et par moments, adorable. Le public l’aime, ne l’aime pas, la hait parfois. Au début, je ne savais pas par quel bout prendre ça; je craignais de ne pas être crédible. À force de fouiller, de chercher, de travailler avec André Brassard, j’ai compris le grand plaisir de ce rôle; mais c’est une grosse commande."
Interprète de Lucienne dans Bonjour, là, bonjour, à deux reprises, et de Pierrette dans Les Belles-soeurs, Marthe Turgeon reconnaît dans cette pièce "une signature Tremblay évidente. Il a une écriture, un phrasé très particulier: c’est une langue de théâtre, qui donne un excellent swing." La comédienne confie toutefois que "Tremblay est un auteur difficile à jouer. Son univers, pour un acteur, est très dur, parce qu’on est toujours dans la frustration des personnages. Heureusement, il y a souvent de l’humour dans ses textes. Dans L’État des lieux, plusieurs répliques sont très cinglantes; mais il y a beaucoup d’humour dans la façon dont elles sont lancées. Autrement, ça ne serait pas toujours très supportable. Cet humour installe une distance qui permet le rire, et qui permet "d’avaler" ce que dit Tremblay même si, au fond, ce n’est pas toujours drôle…"
Les 16 et 17 octobre
À la Salle Albert-Rousseau
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