Céline Bonnier et Nathalie Claude : Un cimetière près de chez vous
Scène

Céline Bonnier et Nathalie Claude : Un cimetière près de chez vous

Avec La Fête des morts, de Céline Bonnier et Nathalie Claude, Momentum clôt en toute cohérence son Année de l’Os, amorcée par la célébration d’une décennie d’existence, et poursuivie par deux rituels sur le deuil.

Résumons: il y a déjà eu un hôpital, une forêt, un dépotoir, une chapelle, un autobus, une boîte… Il manquait encore un cimetière au répertoire des lieux inusités où Momentum aime entraîner ses fans.

C’est donc dans un cimetière "près de chez vous", dont l’identité est gardée secrète, que vous donnent rendez-vous Céline Bonnier et Nathalie Claude pour leur création La Fête des morts. Membres de longue date de la compagnie d’exploration, ces deux comédiennes allumées partagent une fascination pour l’univers de la mort et les lieux d’inhumation. Brrr…

"Je me sens bien dans un cimetière, assure Céline Bonnier. Pour moi, ça a quelque chose de très théâtral. C’est un lieu noir, mystérieux, où l’on ne sait jamais ce qui se passe en coulisses. Ça laisse place à l’imagination. De la même façon, quand je suis rentrée dans un théâtre la première fois, j’ai vu toutes les possibilités que ça laissait à l’imaginaire. Et aussi, je suis hantée par la mort depuis que je suis toute jeune."

"C’est le plus grand mystère auquel on est confrontés en tant qu’humains, opine Nathalie Claude. Quand je voyage, la première chose que je fais, c’est toujours de visiter les cimetières. La découverte de la culture reliée à la fête de la mort des Mexicains m’a révélé qu’il y a d’autres façons d’aborder la mort. C’est super festif, poétique, coloré, et tout à fait à l’opposé de notre culture du deuil. Ils ont davantage de rituels, ce qui rend le passage plus facile. Pour moi, un rituel, c’est une façon de s’approprier les choses. C’est quelque chose qui t’aide à passer au-delà de la peine. Et un rituel peut être ludique, symbolique. Ici, on est comme laissés à nous-mêmes, dans notre tristesse, notre silence."

Associée à une imagerie sombre, austère, "statique", la Grande Faucheuse constitue plutôt un grand tabou en Occident. Il est loin, le temps où on veillait longuement les corps des défunts dans notre propre foyer! Comme si, pour notre société moderne et hautement "technologisée", qui s’est coupée de la nature, la mort représentait une défaite inadmissible…

"Le problème dans notre société, c’est qu’on pense qu’on est éternels", avance Nathalie Claude. Tandis que chez d’autres cultures qui ont des rites pour l’affronter, la mort fait partie intégrante du cycle de la vie, d’une roue qui continue, plutôt que d’être une fin en soi. Sans tomber dans la spiritualité, l’artiste pense qu’on a quelque chose à apprendre là.

"Selon moi, il faut toujours conserver l’idée de la mort derrière la tête, parce que je pense que ça fait de nous de meilleurs humains que la pensée qu’on est éternels. Ça remet en question notre espèce de course effrénée et absurde. C’est aussi une belle façon de vivre, de se dire que chaque instant est important, que l’existence est aussi pleine de toutes sortes de deuils, et qu’il faut profiter de chaque chose."

Inspirés au départ par l’esthétique flamboyante de la Dia de Los Muertos mexicaine, le tandem ainsi que les autres "créateurs-interprètes" (10 acteurs, dont les "momentumiens" Stéphane Demers et Marcel Pomerlo) ont imaginé un parcours théâtral ni macabre ni épeurant. Une célébration avec de l’humour et de la réflexion.

Promenés à travers le cimetière, les vivants – les spectateurs! – vont rencontrer les défunts, histoire de "soulever le voile qui sépare la vie et la mort". (Mais les créatrices n’ont aucun scoop sur la nature de l’au-delà, blaguent-elles…)

"Pour moi, c’est une façon d’exorciser la mort et d’imager ce que j’aimerais que les gens que j’ai perdus vivent après leur décès, résume plus sérieusement Céline. Même si je sais que ça ne correspond pas à la réalité, j’ai besoin de voir ça. La majorité des interprètes de La Fête des morts ont aussi vécu des deuils très importants."

"On a envie de parler de la mort de façon poétique, d’essayer de porter, dans un lieu associé à la lourdeur et à la tristesse, un spectacle lumineux, ludique, qui apporte un éclairage différent sur la mort", ajoute sa complice. "On est reconnaissants envers le cimetière qui nous accueille parce qu’on s’attendait à une résistance, dit Céline Bonnier. En effet, on n’est pas habitués d’être dans le ludisme par rapport à la mort. C’est trop sérieux, souffrant. Et sacré. Mais le théâtre aussi est un lieu où on peut retrouver la dimension sacrée qu’on n’a plus ailleurs. Et notre rituel est d’abord théâtral. Le théâtre étant pour nous une messe, on a besoin de ritualiser le passage de la vie à la mort."

Avec cette messe pas noire, Momentum clôt donc en toute cohérence son Année de l’Os, amorcée par la célébration d’une décennie d’existence, et poursuivie, heureux hasard, par deux rituels sur le deuil (dont le beau one man show L’Inoublié). Plus que jamais, cette compagnie pas comme les autres permet à ses artistes de concrétiser leurs fantasmes les plus fous en entraînant le public dans des territoires inédits. Jusque par-delà la mort…

Du 23 octobre au 3 novembre
Rendez-vous au parc Laurier