Dominick Parenteau-Lebeuf : Éloge de l'impudeur
Scène

Dominick Parenteau-Lebeuf : Éloge de l’impudeur

Malgré toutes les avancées des femmes, Dominick Parenteau-Lebeuf constate qu’elles n’ont toujours pas droit à une chose primordiale: se tromper.

Difficile d’être plus à contre-courant que ça. Alors que tous les médias n’en ont que pour les bobos de la condition masculine, Dominick Parenteau-Lebeuf crée une pièce qui dit que tout n’est pas rose chez les filles du post-féminisme! Un propos "très contemporain, contrairement aux apparences", qui arrive comme la contrepartie du discours envahissant les tribunes publiques actuellement… "Ma pièce a attendu cet automne-ci pour se faire monter", rigole la jeune auteure.

Car c’est en 1998 que Dévoilement devant notaire a remporté la Prime à la création du Fonds Gratien Gélinas. "J’avais pensé que ça se bousculerait au portillon! Mais j’ai rencontré des directeurs de théâtre, et j’ai senti que tous étaient très frileux à cause du sujet. Je pense qu’ils ont peur de la vraie controverse, où un sujet peut choquer, irriter ou emballer vraiment. Ils recherchent la controverse évidente: le show trash, violent. Ça, c’est agréablement controversé, parce que ça fait vendre des billets…"

Il y a aussi que pour plusieurs, "le masculin est universel et le féminin reste… féminin". Qu’à cela ne tienne: Dominick Parenteau-Lebeuf a pris les choses en mains, et fondé Baraka Théâtre pour créer sa pièce. Et l’auteure n’a pas de regrets, ravie de son équipe – qui compte beaucoup d’hommes, dont Marc Béland à la mise en scène.

Dévoilement devant notaire clôt un cycle sur l’absence de la mère, amorcé par L’Autoroute et Poème pour une nuit d’anniversaire. L’auteure au prénom masculin ("ma mère voulait que je sois différente des autres Dominique…") y traite surtout de l’héritage maternel, à travers la quête d’identité d’Irène-Iris (Isabelle Roy), qui vient d’enterrer sa féministe de génitrice. En compagnie de son petit frère (Nicolas Pinson), elle attend le notaire (Henri Chassé) qui réveillera ses désirs refoulés…

Comment s’affranchir de la figure maternelle, trouver sa propre individualité et reprendre contact avec son intimité, quand "on a été presque endoctrinée sur ce qu’une femme devait être"? À tâtons, Irène-Iris essaie de trouver l’interdit qui constitue aussi une grande part du féminin.

Sans minimiser le malaise des mâles, Dominick Parenteau-Lebeuf estime qu’on ne devrait pas se restreindre à un seul discours. "On parle beaucoup de ce que le féminisme a fait aux hommes, mais pas de ce qu’il peut avoir fait aux femmes. On nous a fortement encouragées à penser que ce serait bien qu’on se ferme un peu la gueule, maintenant qu’on avait énormément gagné sur le plan social, économique et politique… Mais ça ne règle pas le problème de l’intime. Une révolution, ça laisse des traces dans l’intimité."

Malgré toutes les avancées des femmes, l’auteure constate qu’elles n’ont toujours pas droit à une chose primordiale: se tromper. "Je pense que les femmes sont en partie responsables de ça: on a trop le syndrome de la première de classe. Pour une femme, un échec c’est la fin. Depuis qu’on est sorties du fossé, il faut être au top de la montagne. Ne pourrait-on pas exister normalement entre les deux? Se tromper, être moyenne? Est-on obligées d’être soit des Afghanes voilées, soit des superwomen? C’est cette dualité qui me fait dire que le féminisme a encore des choses à faire, mais dans l’intimité cette fois."

Et Parenteau-Lebeuf est fascinée par l’intimité, ce "trésor enfoui". "C’est très bouleversant de monter un spectacle aussi intime, qui traite de tout ce dont on ne parle pas ouvertement. On parle beaucoup des conflits, des phénomènes sociaux collectifs. Mais pour moi, tout ça part de l’individu dans son corps."

Elle apprécie particulièrement l’impudeur de cet univers. "S’il y a une chose que j’ai réussie dans cette pièce, c’est d’être impudique par rapport à des choses que moi-même je trouverais très difficiles à dire."

La dramaturge a hâte de voir comment vont réagir les spectateurs masculins, eux qui, traditionnellement, ont plutôt appris à fuir l’intimité. "L’éclairagiste a dit qu’en travaillant sur ce show, il se sentait comme un gars dans un vestiaire de filles! Les hommes sont troublés par cette impudeur féminine. Je trouve ça extraordinaire: on ne va pas au théâtre pour être confortable…"

Du 22 octobre au 9 novembre
À la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui