Martin Faucher : L'annonce faite à Martin
Scène

Martin Faucher : L’annonce faite à Martin

"Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on possède", a écrit saint Augustin. Dans L’Échange, l’auteur Paul Claudel démontre avec force la pertinence de cette maxime.

"Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on possède", a écrit saint Augustin. Dans L’Échange, l’auteur Paul Claudel démontre avec force la pertinence de cette maxime. Tenté par l’appât du gain et par l’argument que tout peut s’acheter… même le bonheur, Louis Laine, un jeune métis beau et nonchalant, échangera sa femme, Marthe, contre les dollars d’un riche Américain sans scrupules. Voilà l’intrigue de L’Échange, de Claudel, l’une de ses plus célèbres pièces de jeunesse, écrite en 1893, alors que l’auteur occupait un poste de vice-consul à New York.

À 25 ans, Claudel était autant fasciné par la beauté des paysages américains que préoccupé par la culture et les valeurs mercantiles de ce peuple jeune, et déjà obsédé par la réussite matérielle. Or, L’Échange expose que cette quête d’un monde meilleur, ce rêve américain, est très destructeur.

"C’est fascinant de constater à quel point la pièce reste cruellement d’actualité à l’heure de la mondialisation et des turbulences boursières, explique le metteur en scène Martin Faucher, qui signe ici sa première mise en scène au TNM. De nouvelles couches de sens se sont même ajoutées depuis un siècle – la protection de l’environnement, les relations avec les Amérindiens, le contrôle des armes, l’impérialisme américain -, autant de choses que Claudel ne pouvait pas aborder, bien sûr, mais qui sont dans sa pièce!"

C’est Martin Faucher qui a proposé L’Échange à la directrice du TNM, Lorraine Pintal. À 40 ans, Faucher se sentait fin prêt pour soutenir la pression d’une production au TNM, tout en livrant sa vision de cet univers. Émule d’Antoine Vitez et de Réjean Ducharme, adepte de nouvelle danse autant que d’art contemporain, Martin Faucher est un metteur en scène qui a commencé avec fracas dans le métier: en créant un succès. Sa mise en scène d’À quelle heure on meurt?, en 1988, l’a fait connaître du milieu et de la critique, mais lui a aussi mis beaucoup de poids sur les épaules.

C’est peut-être pour éviter la pression du succès à tout prix que Faucher, l’artiste, aime toucher à tout: la création, les spectacles jeune public, la danse théâtre, les comédies… Et là, Claudel, classique parmi les classiques, sacralisé à la Comédie-Française au milieu du siècle dernier, mais aussi décrié par plusieurs de ses contemporains et des nôtres. Reprenant à sa façon la formule de Mai 68, "Plus jamais Claudel", le chroniqueur de La Presse, Pierre Foglia, a déjà affirmé que l’auteur du Soulier de satin l’avait "écoeuré du théyâtre pour toujours".

"Il y a énormément de préjugés autour de Claudel et de son oeuvre, admet Martin Faucher. Au début, j’ai même douté de moi en croyant que j’allais monter un poète catholique… Mais le côté rigoureux et austère de Claudel n’est pas dans L’Échange. Au contraire, ce texte déborde de sensualité, de fougue. Certes, il y a toujours des aspects mystiques et ésotériques chez Claudel. Il s’interroge sur le sens de la vie, le rapport à la terre, au cosmos… Mais Claudel, c’est aussi un immense appétit de vivre, une grande soif de bonheur. Et je me reconnais là-dedans."

Puis, bien sûr, il y a la langue. "C’est une langue belle, musicale, poétique, et d’une sensualité extraordinaire. Et ça, moi ça m’excite énormément. C’est un théâtre exigeant, Claudel. Mais il nous en donne beaucoup en retour."

Paul Claudel a aussi dit que ses quatre personnages sont les quatre facettes d’un seul individu: lui-même. Marthe représente son côté européen, ancestral; Louis, c’est l’aventurier, le jeune homme épris de liberté; Lechy, la muse; et le riche Thomas, l’ambitieux diplomate, l’homme d’affaires en Claudel.

Pour jouer ce quatuor claudélien, le metteur en scène a choisi quatre merveilleux comédiens. Macha Limonchik, Maxim Gaudette, Markita Boies et Pierre Collin défendront respectivement Marthe, Louis, Lechy et Thomas. Le décor de Jean Bard et les éclairages de Martin Labrecque suggéreront le bel horizon du littoral de la Côte-Est des États-Unis.

Finalement, Martin Faucher fait des spectacles pour semer un peu de vie dans notre monde à la fois triste et beau, espérant déclencher une vibration, une émotion, une résonance chez les spectateurs. "Comme Claudel, j’ai aussi un besoin de bonheur épouvantable. Et là où je suis le plus heureux, c’est en faisant du théâtre."

Martin Faucher rencontrera le public pour parler de Claudel et de L’Échange, le lundi 21 octobre à 17 h, au Café du Nouveau Monde, dans le hall du TNM. L’entrée est libre.
Du 29 octobre au 28 novembre
Au Théâtre du Nouveau Monde