Babel : Maudite machine
De CyberJack à son dernier-né, Babel, la compagnie Trans-Théâtre aime bien nous servir des mises en garde sur l’avenir, sous forme de pièces d’anticipation satiriques.
De CyberJack à son dernier-né, Babel, la compagnie Trans-Théâtre aime bien nous servir des mises en garde sur l’avenir, sous forme de pièces d’anticipation satiriques. Hélas, on constate vite que la création, c’est un peu comme le futur: incertain, risqué, truffé d’imprévus et difficile à contrôler, malgré toutes les bonnes intentions qu’on y engage…
Avant de pénétrer dans la salle de l’Espace Go, le spectateur a le choix entre s’asseoir confortablement au-dessus de la mêlée, comme d’habitude, ou s’attrouper derrière des grillages, au niveau de la scène. Il vaut sans doute mieux choisir cette seconde option, et vivre au moins "l’expérience sensorielle", parce que la distance critique ne réussit certes pas à ce court spectacle au contenu des plus minces…
Avec ses personnages embryonnaires et sa réflexion prémâchée, Babel ne nous donne rien à ressentir, et bien peu à penser. Il y a peu de véritables interactions dans le spectacle conçu et mis en scène par Brigitte Poupart, où un animateur de télé évidemment caricatural (Michel Monty, remplaçant au pied levé un autre acteur) interroge un architecte mégalomane et exsangue (Paul-Patrick Charbonneau), lors de l’inauguration de sa tour de 700 étages! L’échange nous vaut un humour assez facile (l’interviewer insignifiant qui déforme les mots en parlant "l’américano-français international 101"), dans un environnement high-tech trop froid pour donner prise à la satire.
D’abord pensé sans texte, Babel fait cohabiter des scènes acrobatiques (les mouvements de personnages en noir, qui suggèrent l’uniformisation et évoquent vaguement Joe), avec cet interview qui devient finalement un long monologue assommant de l’architecte. Les deux dimensions ne s’intègrent pas bien. De cette suite de formules – pigées chez plusieurs sources, de l’aveu même de l’auteur, Michel Monty – ressort l’idée que "l’homogénéité est le point de chute de l’humanité", et que "les machines sont nos maîtres".
Décidément, l’auteur de CyberJack se méfie de la machine. Pourtant, c’est justement l’emballage technologique qui prend le dessus dans ce gros show multimédia. Heureusement qu’il y a les projections vidéo de Michel Hébert qui défilent sur l’écran en fond de scène, la trame sonore techno et parfois assourdissante de Jean-François Pednô et le déluge d’objets qui tombent afin de suggérer le chaos, pour nous distraire de la pauvreté dramaturgique du spectacle…
Comment critiquer le gigantisme, l’uniformisation et la domination de la technologie sans tomber dans un théâtre gadgets? C’est le piège auquel ne réussit pas à échapper la création de Trans-Théâtre.
En montrant une tour monstrueuse qui s’écroule, Babel nous fournit sans le vouloir une image facile pour décrire ce show ambitieux qui sature les yeux et les oreilles, mais affame l’âme et l’esprit. L’oeuvre ressemble finalement à l’édifice démentiel qu’elle dénonce: une débauche visuelle et sonore qui camoufle mal sa précarité et sa quasi-vacuité.
Jusqu’au 2 novembre
À l’Espace Go