Isabelle Cauchy : Épique époque
Scène

Isabelle Cauchy : Épique époque

Si vous avez vu le très beau film The House of Mirth, vous avez pu apprécier la finesse de l’écriture d’Edith Wharton. Fort de sa rare spécialité, le Petit Théâtre de Sherbrooke a transformé ce drame bouleversant en "théâtre chanté". Plutôt réputée pour ses pièces destinées à la jeunesse (Barbe-Bleue), la compagnie sera au Prospero dès la semaine prochaine.

Si vous avez vu le très beau film The House of Mirth, vous avez pu apprécier la finesse de l’écriture d’Edith Wharton. Fort de sa rare spécialité, le Petit Théâtre de Sherbrooke a transformé ce drame bouleversant en "théâtre chanté". Plutôt réputée pour ses pièces destinées à la jeunesse (Barbe-Bleue), la compagnie sera au Prospero dès la semaine prochaine.

L’auteure et metteure en scène Isabelle Cauchy porte Lily depuis presque 20 ans. C’est le coup de coeur qu’elle a éprouvé pour ce roman américain, en 1983, qui a décidé cette "omnipraticienne" du théâtre à écrire. Au fil des ans, l’ardu travail d’adaptation de ce livre, qui a toujours résisté à la transposition scénique, lui a servi d’école d’écriture, à temps perdu. C’est l’intérêt de son codirecteur artistique, le compositeur Michel G. Côté, qui a relancé le projet.

L’apport du langage musical a permis de résoudre les embûches de l’adaptation, en traduisant l’intériorité des personnages. "L’une des difficultés de cette pièce était d’arriver à faire comprendre toute la distance entre ce qu’un personnage raconte et ce qu’il ressent. Les chansons permettent d’avoir différents niveaux de langage à l’intérieur d’une même scène, ou de donner certaines informations, en racontant l’histoire avec seulement cinq personnages." Stéphane Brulotte, Daniel Gadouas, la chanteuse Isabelle Roy, Robert Vézina et un quatuor à cordes entourent Catherine Sénart, dans le rôle-titre.

Isabelle Cauchy s’est donc permis de grandes libertés avec cette oeuvre publiée en 1905, tout en s’efforçant de rendre justice à Edith Wharton (1862-1937), qui fut la première auteure à remporter le prix Pulitzer, avec The Age of Innocence. "Elle était immensément populaire; elle vendait beaucoup plus de livres que Henry James. Et elle a beaucoup parlé des femmes. Je pense que dans cette société-là, ce fut la première à le faire aussi bien."

Lily nous introduit dans la classe américaine richissime et désoeuvrée du début du 20e siècle. "C’est l’époque où Freud commençait ses travaux sur les malaises féminins. Les femmes faisaient beaucoup de dépressions nerveuses, parce qu’elles n’avaient aucune utilité. Certaines ont réussi à faire des cours de médecine, mais à la condition qu’elles promettent de ne jamais pratiquer! Mais les hommes aussi y sont gaspillés, et je me dis parfois que ce n’est pas une pièce féministe, mais une pièce écologiste! C’est un paradoxe provocant: ces gens extrêmement fortunés n’arrivent pas à s’accomplir."

Belle orpheline désargentée, Lily gâche ses occasions de faire un riche mariage, seule issue pour une femme de son milieu. Ses erreurs de jugement finiront par exclure cette délicate fleur de la bonne société, précipitant sa tragique déchéance.

"Lily n’arrive pas à trouver une place où s’épanouir. A priori, elle est plutôt superficielle. Mais c’est le personnage qui possède la fibre morale la plus intègre. Elle demande simplement la capacité de s’accomplir pour qui elle est. À part le mariage, la société n’a pas d’usage pour elle."

Incapable de se vendre dans une union qui ne serait qu’un marchandage, Lily est condamnée à la dérive. "Et plus elle dérive, plus elle devient intéressante, et plus elle cherche à être intègre. Ça devient de plus en plus difficile pour elle de se résoudre à faire comme les autres: les mesquineries, les chantages. Lily découvre qu’elle a un respect minimal pour elle-même."

Malgré certains éléments datés, Isabelle Cauchy voit dans cette société superficielle de nouveaux riches, qui vit les "grandes heures" du capitalisme, des résonances avec notre époque. "Ce n’est pas à la même échelle, mais on vit aussi ce gaspillage de la personne humaine, en se contraignant à des lois sociales, en s’efforçant de bien paraître, d’être en compétition avec son collègue. On parle beaucoup d’argent dans Lily. Il n’y a pas de véritables valeurs mises de l’avant par cette société, sauf celle de l’argent."

Ça vous rappelle quelque chose?…

Du 29 octobre au 16 novembre
Au Théâtre Prospero